LE COURS EN AUDIO
[ Centre-Alef Torah-Box ]
Le but ici n'est pas de présenter les avis et les conseils personnels du Rav Wattenberg.
On va présenter la position de certains Rishonim et A'haronim, ce qui a été dit dans les livres concernant la Mitsva d'habiter en Israël.
On ne va pas aborder l'aspect technique.
Certains seront dérangés par une partie de ce que le Rav va dire, et les autres par l'autre partie.
L'idée est de savoir ce qui a été dit sur le sujet - ce qui est généralement ignoré - plutôt que de trancher la Halakha.
I. Y A T'IL UNE MITSVA D'HABITER EN ISRAËL ?
1. Une Mitsva de la Torah
Le Ramban
Le verset dans Bamidbar (33, 53) dit véhorashtem ète haarets vishavtem bah וְהוֹרַשְׁתֶּם אֶת-הָאָרֶץ, וִישַׁבְתֶּם-בָּהּ : vous conquerrez la terre (en parlant d'Israël) et vous vous y installerez.
Rashi là-bas explique - quelque que chose qui correspond à ce que dit Onkelos - que c'est une sorte de promesse pour le futur.
Le Ramban (Na'hmanide) en déduit que vraisemblablement, Rashi pense qu'il n'y a pas de Mitsva de Yishouv Erets Israël. (Yishouv = Habiter)
Et en fait ce n'est pas le seul Rashi, on voit aussi dans Massekhet Brakhot 57a qu'il n'a pas l'air de penser qu'il y a une mitsva de faire sa Alya.
Le Ramban évidemment n'est pas d'accord et pense que c'est une des Mitsva positive de la Torah.
La majeur partie des Méfarshim sur place : le Or A'hayim Hakadosh, le Reem etc. donne plus raison à Rashi dans les mots du verset qu'au Ramban.
Na'hmanide le répète encore pour être en désaccord avec le Rambam-Maïmonide.
Ce dernier a écrit un livre qui s'appelle le Séfer Hamitsvot où il y fait le décompte des 613 Mitsvot.
Et le Ramban rajoute à la Mitsva 4, dans ses notes, que celui-ci a oublié la Mitsva de Yishouv Erets Israël qui est min Hatorah et qui s'applique même de nos jours.
On verra ensuite quelques subtilités dans le langage de Na'hmanide qui pourraient tout remettre en question.
● Le point énorme de sa Shita n'est pas encore là. ●
Les Mitsvot en Israël
Il écrit en effet dans A'harei Mot (Vayikra 18, 25) que l'essentiel de l'accomplissement des Mitsvot est d'être accompli en Israël.
À l'étranger, on ne ferait les Mitsvot (comme la Mitsva des Téfilin ou la Mézouza) que pour se faire la main, afin que le jour où on arrivera en Israël on sache déjà s'y prendre.
Il veut expliquer avec ça que les Avot ne faisaient les Mitsvot qu'en Israël. Par exemple, Yaacov était marié à deux soeurs et dès qu'il est rentré en Israël, Ra'hel est morte etc.
L'idée se trouve aussi chez le Yaabets, Rabbi Yaakov Emden dans le Mor Ouktsia - c'est son commentaire sur le Tour Ora'h 'Haïm - au Siman 306.
Et malheureusement, des personnes auxquels l'amour d'Erets Israël est allé un peu trop loin ont compris qu'en France il n'y avait pas la nécessité de faire les Mitsvot.
Ça c'est faux et assurément faux.
D'une part, lorsqu'on regarde dans les mots du Ramban ce n'est pas ce qui est écrit.
D'autre part, quand on voit la source de Na'hmanide, ce n'est explicitement pas ce qui y est écrit.
À part ça, s'il fallait le préciser, le Maharal de Prague déjà dans Gour Arié (Dvarim XIX, 19), nous dit que même d'après le Ramban on est obligé min Hatorah de faire les Mitsvot en dehors d'Israël.
La Torah, D.ieu, nous demanderait de les accomplir en France bien que ce ne soit qu'une préparation pour Israël.
Ceux qui prétendent l'inverse n'ont trop que faire du Bon D.ieu et des Mitsvot, ce qui leur intéresse c'est d'envoyer tout le monde en Israël, il ne faut pas tomber dans leurs pièges.
Et puis dans ce cas-là, si en 'Houts Laarets on ne serait pas tenu des Mitsvot, on ne serait pas tenu non plus de faire la Alya.
En tout cas tout le monde s'étonne sur ce que dit Na'hmanide.
Les Téfilin et la Mézouza sont des Mitsvot sur l'homme, peu importe qu'il soit en Israël ?
Ce n'est pas comme les Mitsvot de Trouma ou Maaser qui sont relatives à la terre et qu'on peut dire qu'on en est exempt à l'étranger.
À ce compte-là, il n'y aurait plus de Mitsva de croire en Hashem en dehors d'Erets Israël ?
Certains repoussent ainsi l'avis du Ramban, mais ce n'est pas si simple, il n'a pas inventé ce Din de lui-même !
Sa source est dans le Sifrei Parachat Ekev à la fin de Piska 7 (c'est aussi ramené par Rashi sur Dévarim 11, 18).
Là-bas on dit : malgré que Je vous exile d'Israël vers l'étranger, héyou métsouyanim הֱיוּ מְצֻיָּנִים - faîtes bien les Mitsvot afin qu'elles ne vous soient pas à votre retour comme des nouveautés.
Comment expliquer ce Sifrei pour ceux qui ne pensent pas comme le Ramban ?
En fait, l'erreur est dans la traduction de héyou métsouyanim היו מצינים (voir la Hagada de Pessa'h).
Être métsouyan, c'est sortir du lot, se distinguer.
On nous demande ici d'être remarquables par nos Mitsvot : de ne pas faire profil bas, cacher la Kippa, rentrer les Mézouzot.
Et ainsi, on ne sera pas dépaysé lorsqu'on reviendra en Israël.
[Note : voir la traduction du Rabbinat de Rav Jacques Kohn zal qui traduit aussi par "distinguez-vous".]
Les Rishonim et A'haronim du même avis
Un autre Rishon pense qu'il y a une Mitsva de la Torah d'habiter en Israël : le Tashbats (III, §198-199-200).
Néanmoins il pense que la raison de cette Mitsva n'est pas lié à la sainteté de la terre d'Israël, mais c'est seulement le moyen d'accomplir les Mitsvot Hatlouyot Baarets, les Mitsvot qui dépendent de la terre comme la Shmita ou la Trouma.
Et plus loin, toujours dans le 'Helek Guimel au Siman §288, il écrit que cette Mitsva est permanente, elle n'est pas liée à la présence du Temple.
Et il rajoute pour prouver ses dires qu'on a vu des Amoraïm risquaient leurs vies pour aller en Israël.
On voit cet Amora dans la Gmara Ktouvot 112a : c'est Rabbi Zeira.
Mais sa preuve n'est pas géniale, car on voit bien que les autres Amoraïm n'étaient pas prêts à prendre ces risques là et n'ont pas fait la Alya.
La Maharit aussi (II Yoré Déa §29) pense aussi que c'est une Mitsva de la Torah.
Il explique aussi (I, §47) comme le Tashbets que la raison de cette Mitsva est de pouvoir pratiquer les Mitsvot dépendantes de la terre qui ne peuvent être accomplis qu'en Israël.
Le Rashbash aussi (le fils du Rashbats) pense que c'est min Hatorah dans Siman 2.
Le Rivash dans §101.
Il y en a aussi chez les A'haronim : par exemple le Shla Hakadosh dans Shaar Otiyot §100 Kdoushat Hamakom, le 'Haredim (Rabbi Elazar Azikri) dans Mitsvot Hatlouyot Baarets §1, 15, le Péat Hashoul'han §1 qui lui-même ramène pas mal de Rishonim qui pensent comme ça et le Mabit (I, §245).
On a parmi les A'haronim quelqu'un qui s'en étonne : le Knesset Hagdola dans Yoré Déa §239.
Il dit que tout le monde sait qu'il s'agit d'une discussion entre Na'hmanide et Maïmonide : qu'est ce qui a pris le Mabit de trancher la Halakha comme Na'hmanide que c'est une Mitsva de la Torah ?
Le Avnei Nezer (c'est un livre qui date du début du 20ème siècle) dans Yoré Déa §454 s'étend longuement sur le sujet et pense que c'est une Mitsva de la Torah.
Il y a pleins de points assez étonnants.
Le Min'hat Elazar, le Rabbi de Munkacs (V, §12) en est étonné et prétend même que des ajouts s'y sont immiscés.
2. Le Rambam
De l'autre côté on a le Rambam qui ne mentionne pas la Mitsva dans les 613 Mitsvot.
Il y a quatre explications classiques sur l'avis du Rambam.
1. Une Mitsva Dérabanane
Il penserait qu'il y a une Mitsva mais seulement Dérabanan, et c'est pour cela qu'il ne l'a pas décompté.
Ainsi ont compris la majorité des commentateurs du Rambam : le Rashbash (§1-2), le Knesset Hagolda (Yoré Déa §239), le Péat Hashoul'han (§1, 14), le Shout Avak Drakhim (Yoré Déa §14), le Shout Nishmat Kol 'Hai de Rabbi 'Haïm Pallagi (I, §48), le Beit Its'hak (§1, 5), le Sdei 'Hemed (I, 240) et pleins d'autres.
Il est intéressant de noter que le Rav Moché Feinstein (Igrot Moshé III, §122) considère qu'il est impossible qu'une telle Mitsva soit déRabanan : soit c'est min Hatorah soit il n'y a pas de Mitsva du tout. Pourquoi ?
Car nos Sages n'ont pas le pouvoir de faire une Takana Shéèn Rov Hatsibour Yékholin Laamod Ba, une institution dont la majorité du peuple ne pourra s'y soumettre.
On ne peut pas forcer tout le monde à faire la Alya : certains sont malades, certains sont faibles, d'autres sont pauvres.
Et Rav Feinstein ajoute que même s'ils avaient fait la Takana à l'époque, puisque celle-ci ne s'est pas répandue dans la majorité d'Israël, celle-ci est annulée d'emblée.
Mais cette idée n'est pas unanime, on a vu plein d'A'haronim qui pensaient que c'était tout de même MidéRabanan.
Dan le ארעא דרבנן - Ara Dérabanan (§297) c'est écrit que le Radbaz pense que c'est MidéRabanan.
2. Il n'y a pas de Mitsva du tout jusqu'à la venue de Mashia'h
Cette Shita est connue au nom du Meguilat Esther (un des commentaires sur le Rambam) dans ses Hasagot al Sefer Hamitsvot.
C'est aussi ce qu'écrit le Tashbats (III, §200) bien que lui même pense qu'il y a une Mitsva de la Torah, le Beit Halévi (II, §50) premier de la lignée des Soloveitchik, le Min'hat Elazar (V, §12) et le Rabbi Tsadok Hacohen de Lublin dans Divrei Sofrim §14.
Beaucoup d'A'haronim posent des questions sur cette compréhension : entres autres le חבלים בנעימים - 'Havalim Banimim (V, §45) et le Avnei Nezer (Yoré Déa §444).
En effet, le Rambam plusieurs fois laisse comprendre qu'il y a au moins une Mitsva MidéRabanan.
Par exemple dans Hilkhot Shabbat §6, 11, il écrit que celui qui achète une maison d'un Goy en Israël, on a le droit - si besoin est (on a peur qu'il change d'avis par exemple) - de lui demander d'écrire le contrat pendant Shabbat à cause de l'importance de la Mitsva d'habiter en Israël (alors qu'en général on n'a pas le droit de demander à un Goy de transgresser Shabbat pour nous.)
On voit encore dans Hilkhot Ishout §13, 20 que le Rambam nous parle du fameux cas où dans un couple l'un veut faire sa Alya et l'autre non.
Dans Hilkhot Mézouza §5, 10, il dit que celui qui loue une maison en Israël doit mettre une Mézouza tout de suite, pas après trente jours comme à l'étranger.
Dans Hilkhot Mélakhim §5, 9 on voit l'interdit de sortir d'Israël.(La majorité des décisionnaires autorisent pour aller en vacance).
Ainsi le Rav Ovadia Yossef dans Yé'havé Daat III, §69 ramène des A'haronim qui repoussent cette Shita [qu'il n'y aurait pas de Mitsva d'après le Rambam] : le 'Hida dans Yaïr Ozen Ot 10 Siman 5, Rabbi Haïm Pallagi dans Nishmat Kol 'Hai §58 et d'autres.
En tout cas, même s'il ne s'agirait pas de Maïmonide, il existe bien un avis selon lequel il n'y aurait pas de Mitsva d'habiter en Israël, d'obligation à proprement parler, mais ce serait seulement un bon comportement : le Sefer Hatrouma au début des Hilkhot Erets Israël parle de ça, le Tashbets Katan §559, voir aussi le Troumat Hadeshen II, §88 et le Kaftor Vaféra'h dans sa Hakdama au Perek 10 page 207.
C'est aussi ce qui semble du Ritva au début de Guittin et à la fin de la Massekhet Ktouvot.
3. C'est une Mitsva de la Torah.
Alors pourquoi ne l'a-t-il pas cité dans les 613 ?
En fait le Rambam précise au début du Sefer Hamitsvot les différentes règles qu'il utilise pour son décompte. Et dans le Shoresh 4 il écrit que les Mitsvot qui en comportent plusieurs autres ne sont pas comptées.
Et c'est le cas de la Mitsva d'habiter en Israël : elle permet d'accomplir toutes les Mitsvot qui dépendent de la terre (la Shmita par exemple) !
C'est ce qu'écrivent plusieurs A'haronim : le Tsits Eliezer (Rav Waldenberg) VII, §48 au nom du fameux Rav Kook, le Shout Toldot Yaakov ('Hoshen Mishpat §8), le Nishmat Kol 'Haï de Rav 'Haïm Pallagi Yorei Déa Siman 48 dit cela à propos de l'opinion du Mabit et enfin le Rav Issa'har Shlomo Teichtel, הרב יששכר שלמה טייכטל.
[Il a écrit un livre qui s'appelle Em Abanim Sémé'ha écrit pendant la guerre. C'est un Sefer sur la Mitsva d'habiter en Israël. Ce Rav était antisioniste, puis il a fini par devenir un fervent sioniste.]
Dans ce livre page 154, il écrit que le Rambam ne l'a pas mentionné car il pense comme le Ramban, que cette Mitsva englobe toute la Torah. Il ramène ça au nom de רב יונה דב בלומברג Rav Yona Dov Blomberg.
● Attention cependant, ça ne marchera pas pour les autres Guéonim-Rishonim (comme le Rassag (Rav Saadia Gaon), le Behag, le Smag, le Yreim et le 'Hinoukh) qui n'ont pas compté la Mistvat Yishouv Erets Israël.
En effet, eux n'ont pas précisé ne pas décompté les Mitsvot qui en englobent d'autres.
Apparemment ils penseraient que c'est une Mitsva déRabanane ou simplement une bonne attitude.
4. Un Hekhsher Mistva
Le Rambam penserait que cette Mistva est min Hatorah, mais il ne l'a pas cité car il ne s'agit que d'un Hekhsher Mitsva : ça permet d'accomplir des Mitsvot, mais elle n'en est pas une en soi.
C'est juste une nécessité technique nous permettant de pratiquer les Mitsvot relatives à la terre : Shmita Troumot ou Maasrot.
Ça revient un peu à l'avis du Tashbats et du Maharit.
■ Si tel est vraiment l'avis de Maimonide, on pourrait lui amener une preuve, qui serait aussi une question sur Na'hmanide.
Dans Sota 14, on demande pourquoi Moshé a supplié Hashem de rentrer en Israël, était-il intéressé par manger les bons fruits du pays ??
La Gmara répond qu'il voulait accomplir les Mitsvot relatives à la terre.
Elle aurait pu répondre tout simplement qu'il voulait accomplir la Mistva de Yishouv Erets Israël !
Il en ressort ainsi que toute la Mistva n'est que le moyen de parvenir à la Shmita etc.
3. Rabeinou 'Haïm Cohen
C'est un Tossafiste, cité dans le Tosfot sur Ktouvot 110b.
Il écrit que de nos jours il n'y a pas du tout de Mistva d'habiter en Israël à cause du danger des chemins d'une part, et d'autre part, on ne pourra pas y accomplir les Mistvot convenablement et se garder de faire des Aveirot.
■ Le Maharit (Yoré Déa II, §28) s'en étonne : qu'est ce qui nous empêcherait d'accomplir les Mistvot en Israël contrairement à la France par exemple ?
Il va donc jusqu'au écrire que ce Tosfot est un ajout d'un élève qui s'est trompé -un Talmid Toé !
Ce n'est pas le seul à dire ça : dans le Shout Zera Avraham page 56a il ramène plusieurs Rabbanim qui suivent le Maharit sur ce point.
Cependant l'avis de Rabeinou 'Haim Cohen est ramené dans les Rishonim de l'époque, dans le Rama dans Darkei Moshé Even Haezer §76, dans le Mordekhai à la fin de Ktouvot et dans la Shita Mekoubetset, c'est très difficile de dire que ce n'est que l'avis d'un Talmid Toé.
C'est une remarque du 'Hida dans son Yossef Omets§52.
■ Le Shla dans Shaar Otiyot §100 Kdoushat Hamakom, dira que ses paroles sont Divrei Ya'hid, c'est une Shita unique et qu'on ne le suit donc pas.
Mais il semblerait que d'autres le suivent : Rabbi 'Haïm Pallagi dans son Nishmat Kol 'Hai (I Yoré Déa §49) ramène que selon lui c'est aussi la position du Behag.
Nous aussi on avait cité des avis qui penseraient qu'il n'y ait pas de Mitsva ou au mieux seulement miDérabanane. Certains ont même compris que tel était l'avis du Rambam (comme le Méguilat Esther).
Mais alors il faut comprendre pour Rabeinou 'Haïm Cohen quelle est la difficulté de pratiquer les Mitsvot en Israël.
Le Avnei Nezer (§454) et le Rav Shlomo Zalman Auerbach dans Min'hat Shlomo Tanina §100, 1 expliquent qu'il parlait seulement des Mitsvot qui dépendent de la Terre. Par contre, quelqu'un qui aurait bien étudier ces Halakhot devra habiter en Israël.
Mais l'Admour de Satmar, Rabbi Yoel de Satmar dans son Vayoel Moshé (Maamar Yishouv Erets Israël §68) écrit que l'intention de Rabeinou 'Haïm Cohen était sur toutes les Mitsvot.
En effet il dit qu'il est rare de passer un mois entier sans faire d'Aveirot, ainsi puisqu'en Israël le poids des Aveirot est beaucoup plus élevé, on ne devra pas y aller avant d'être un Tsadik.
4. L'avis du Yeroushalmi
Souvent, il y est fait beaucoup d'éloges sur Israël, mais on ne retrouve pas l'idée d'une Mitsva d'habiter en Israël.
Par exemple le cas du Shtar n'est pas exactement le même dans le Yeroushalmi Moed Katan Perek 2 Halakha 4 page 9a.
On y autorise seulement de dire en remez (en allusion) à un Goy afin acheter une maison n'importe où dans le monde.
Il y a encore d'autres preuves.
5. La Halakha
Le Knesset Hagdola (Yoré Déa §239) s'étonne sur le Mabit qui suivait en ça l'avis de Na'hmanide (que c'est une Mitva), alors que Maimonide a l'air en désaccord avec lui.
Ce n'est pas un très gros problème.
Ce qui est étonnant par contre, c'est ce qu'écrit le fils du Rav Kook, le fameux Rav Tsvi Yehouda Kook (le fils du premier grand Rabbin d'Israël) dans Si'hot Harav Tsvi Yehouda page 62.
Il écrit que tous les Poskim : Rishonim et A'haronim ont tranché comme le Ramban (!!)
Et après lui, ses élèves ont suivi cette idée, que c'est une Mitsva de la Torah de partir habiter en Israël car c'est une terre sainte.
Comment peut-on dire une telle chose, avec tous les Rishonim et A'haronim qu'on a cités, c'est absurde de dire ça !
Dans T'houmin (un sorte de recueil d'Halakha qui sort annuellement) Volume 28 page 345, c'est écrit que l'origine de cette erreur résulterait d'une mauvaise compréhension du Pit'hei Tshouva (Even Haezer §75) qui ramène le Méïl Tsedaka §26 qui dit que TOUS les Rishonim et A'haronim sont en désaccord avec ce que dit Rabeinou 'Haim Cohen (c'est aussi dit par le Knesset Hagdola).
Et certains auraient compris qu'être en désaccord avec lui reviendrait à être en accord avec le Ramban, mais comme on a vu il n'y a plein de Shitot entre les deux !
[Et même d'après le Pit'hei Tshouva, on a vu une petite minorité qui pense comme Rabeinou 'Haim.]
Et malheureusement cette erreur est reprise par beaucoup de personnes. [Beaucoup suivent bien sûr le Na'hmanide, mais c'est loin d'être unanime.]
D'autres textes ont pu aider à provoquer cette erreur, par exemple le Beit Shmouel (Even Haezer fin de §75) écrit que l'opinion du Rosh, du Tour et de l'Agouda [de grands Poskim] pensent qu'il y a une Mitsva de nos jours.
Dans Noam aussi (c'est aussi un recueil d'halakha) (XVI, page 51), c'est écrit que la Shita de Na'hmanide est celle de tous les Poskim : le Rif, le Rosh, le Tour et le Shoulkhan Aroukh.
À tel point qu'il s'étonne de certains A'haronim qui ont dit que l'avis du Ramban était Daat Ya'hid.
● Et concernant le Rif, Rosh et Tour, Rav Yeshaya Pik Berlin (מהר"י פיק ברלין) prouve l'inverse dans Yesh Seder Lamishna sur Maaser Shéni §4, que selon eux il n'y a pas de Mitsva de Yishouv Haarets de nos jours.
Sa preuve est qu'ils n'ont pas ramené le cas du Shtar, la Gmara dans Baba Kama 80b et Guitin 8 qui autorise à demander au Goy d'écrire un Shtar Shabbat. [On peut casser cette preuve mais ce n'est pas non plus évident dans l'autre sens.]
● Quant au Shoulkhan Aroukh qui ramène cette Halakha dans Ora'h 'Haim §306, 11, le Vayoel Moshé écrit à son sujet dans Maamar Yishouv Erets Israël §86 que la raison pour laquelle il ramène cette Halakha n'est pas parce qu'il faut habiter en Israël, mais parce qu'il y a une Mitsva de faire sortir les Ovdei Avoda Zara d'Israël.
Il ramène le Rivash qui écrit que cela représente une plus grande Mitsva de renvoyer un Akoum d'Israël que d'y installer un juif.
II. MITSVA 'HIYOUVIT OU KIYOUMIT ?
Les Mitsvot Kiyoumit sont des Mitsvot facultatives, dans le sens qu'on en a l'obligation seulement dans une situation donnée.
La Mitsva de Tsedaka s'applique seulement en présence d'un pauvre. Ainsi, celui qui ne cherche pas de pauvre pour lui donner la Tsedaka (charité) ne fait pas d'Aveira à proprement parler.
À l'inverse, les Mitsvot 'Hiyouviot sont obligatoires, elles ne dépendent pas de conditions précises, par exemple la Mitsva de Tefilin, manger de la Matsa etc.
Celui qui ne met pas les Tefilin fait une Aveira.
Même selon le Ramban, la Mitsva d'habiter en Israël est-elle une obligation et donc une Aveira pour celui qui reste en France ou bien ce n'est qu'une Mitsva Kiyoumi - celui qui y va fait une Mitsva mais c'est tout ?
● Le Mabit (I, §139) pense qu'il s'agit d'une Mitsva 'Hiyouvit, qu'on est obligé d'y aller.
Mais cette Shita n'est suivi par quasiment personne. (Et on verra encore plus loin un autre paramètre qui changera beaucoup de choses.)
● Le Avnei Nezer §454, 52-63 pense que c'est une Mitsva Kiyoumit, c'est une Mitsva de la Torah de la faire mais on n'y est pas astreint.
Il semblerait que le Ritva pense la même chose, dans Yoma 38a il se demande comment ça se fait que le Rambam (et aussi beaucoup d'autres Rabbanim) habitait en Égypte ? Il donne trois réponses :
1) Étant donné que les villes ont été détruites, ce n'est plus considéré comme la même Égypte.
2) D'autres (Rabbi Eliezer de Mets) pensent que tout l'interdit est de revenir en Égypte à partir d'Israël (comme l'a fait Rambam) MAIS par le même chemin que les juifs ont emprunté à l'époque
3) La réponse qui semble la plus vraie pour le Ritva : de nos jours Hashem a décrété qu'on soit en Galout, tous 'Houts Laarets a la même valeur. L'interdit s'appliquait seulement lorsqu'on vivait en Israël.
On ne dirait pas qu'il y a une Mistva d'habiter en Israël, ou même s'il y en a une, elle n'est que Kiyoumit.
Rabbi Shmouel de Salant dans Halevanon Tevet 5624 (1864) écrit que même selon le Ramban c'est sûr que ce n'est qu'une Mitsva Kiyoumit.
Le Igrot Moshé (Even Haezer I, §102) écrit que la majorité des décisionnaires pensent que c'est une Mistva Kiyoumit, et c'est évident que de nos jours il n'y a pas de Mitsva 'Hiyouvit, tant de Tsadikim habitaient en 'Houts Laarets, il n'est pas possible qu'ils soient en faute.
( C'est un peu étonnant car on l'a cité plus haut dans Yoré Déa III, §122 qu'il disait que ça ne peut pas être une Mistva déRabanane car la majorité du peuple ne peut pas la respecter. En effet, si on dit qu'il s'agit seulement d'une Mitsva Kiyoumit, il n'y a aurait pas de problème ! )
● Mais même si on dit qu'il y a une Mitsva 'Hiyouvit, il y a un empêchement.
Dans tout commandement positif, on n'a pas à demander à une personne de dépenser plus d'un cinquième de ses biens.
Par exemple si une personne a 50000 euros en tout et que le seul Etrog disponible est à 20000, elle n'est pas tenue de l'acheter.
Attention, cependant pour éviter d'enfreindre une Mitsva négative il faut être prêt à dépenser tous ses biens.
Ainsi le Rav Sternbuch dans Moadim Ouzmanim (V, §356) écrit qu'il ne pourra en aucun cas avoir une obligation s'il faut dépenser plus d'un cinquième de ses possessions.
Il veut dire là-bas que est aussi l'opinion du Gaon de Vilna (Biour Hagra Even Haezer fin du §75).
Le Rashbash (§2), le Péat Hashoul'han §1, 3 et le Troumat Hadeshen (II, §88) écrivent qu'il n'y a pas de Mitsva du tout de monter en Israël s'il y a des facteurs empêchant : si sa femme s'y oppose, s'il sait que ses enfants ne pourront pas supporter le voyage (surtout à l'époque) ou bien s'il ne sait pas comment il gagnera sa vie ou encore si les chemins sont dangereux.
Le Rashbash conclut que c'est sûrement une de ces raisons qui a fait que tant de Gdolim sont restés toutes leurs vies en Israël.
III. EST-CE AUTORISÉ DE MONTER EN ISRAËL ?
La Gmara dans Ktouvot 111a nous parle des fameux serments, les trois Shvouot qu'Hashem nous a fait: ne pas monter en Israël bé'homa "בחומה" littéralement "comme une muraille"; ne pas se révolter contre les peuples parmi lesquels on réside; enfin sur les peuples du monde, qu'ils ne doivent pas être trop sévères et difficiles avec les juifs.
■ Le Avnei Nezer (§545, 56) veut dire que si l'on reçoit la permission des autres peuples de monter en Israël c'est autorisé, car ça ne correspond pas à une Alya Bé'homa.
(Il écrit ça avant la déclaration de Balfour de 1917, c'est édité en 1913.)
Sa preuve est que Rashi explique sur place béyad 'hazaka ביד חזקה, c'est à dire par la force mais sinon ce serait autorisé.
Le Nishmat Kol 'Hai de Rabbi 'Haim Pallagi dans Yoré Déa §49 n'est pas d'accord. Le Vayoel Moshe aussi évidemment n'est pas d'accord.
En effet on voit que Pharo a finalement laissé le peuple juif s'en allait, et c'est marqué au début du sixième chapitre de Shemot Ki Béyad 'Hazaka Yéshal'hem Oubeyad 'Hazaka Yeguarshem.
On voit bien que cette expression ne laisse pas entendre de désaccord.
[ Un livre qui s'appelle Pokéa'h Ivrim prétend que la totalité du Vayoel Moshé du Rabbi de Satmar est une falsification par un vil antisioniste
C'est extraordinairement osé de dire ça, le livre étant paru du vivant du Rav, tout le monde était contre le Pokea'h Ivrim, il n'a pas signé son livre car c'était dangereux.
Il prétend montrer que plusieurs arguments du Vayoel Moshe ne tiendraient pas. ]
Une autre preuve qu'on pourrait ramener est une Gmara dans Yoma 9b au sujet de la Alya de Ezra (entre les deux Temples). C'est écrit que si tous les juifs seraient montés, ça aurait été une Alya Bé'homa MALGRÉ que ce soit avec l'accord de Koresh. C'est clairement contre ce que dit le Avnei Nezer.
Le Rashbash dans le Siman 2, le Rivash Siman 101 et le Ahavat Yonathan de Rabbi Yonathan Eybeschutz (~Haftara de Balak) écrivent aussi qu'il y a l'interdit même si les nations sont d'accord.
Rav Wattenberg dirait une preuve évidente que la Alya Bé'homa s'applique même sans révolte.
En effet, le troisième serment est de ne pas se révolter contre les nations, si Bé'homa voudrait être dans le sens d'une révolte, pourquoi avoir imposé un serment pour la même chose ?
● Le Maharal de Prague va encore plus loin. Il écrit dans Netsa'h Israël §24 que même si les peuples nous forcent à partir en Israël, il sera malgré tout interdit de transgresser la Shvoua !
[ Ces arguments sont discutables, voir sur Techouvot ].
IV. QUI PEUT ALLER EN ISRAEL ?
1. Un haut niveau spirituel
Beaucoup ont écrit que pour aller en Israël, il fallait être à un très grand niveau spirituel, c'est ce qu'écrit le Pnei Yeoshoua dans Ktouvot 110, le Rav Shlomo Kluger dans Haelef lekha Shlomo (Even Hazer §120), dans le Likoutei Etsot (erekh Erets Israël §13) - c'est basé sur le Likoutei Moharan (I, §129).
Tout ceux-là écrivent donc qu'il faut avoir un haut niveau, que ça doit être dans une volonté de se rapprocher d'Hashem et pas autre chose.
Le Shla Hakadosh et le Kolbo §127 écrivent que ceux qui viennent s'installer en Israël et y multiplient les "soirées" (mishtaot), c'est sur eux que le verset dans Yirmiya (II, 7) dit וַתָּבֹאוּ וַתְּטַמְּאוּ אֶת-אַרְצִי "vous êtes venus et avez impurifié Ma Terre".
Il ne faut pas venir pour la fête, mais au contraire pour accomplir les Mitsvot, si on tient à nos fêtes qu'on reste en 'Houts Laarets et qu'après qu'on ait fait Tshouva qu'on vienne en Israël accomplir les Mitsvot.
Le Vayoel Moshe (Maamar Yishouv Erets Israël §122) est bien évidemment très sévère sur ce point.
Il écrit que uniquement celui qui accomplit toute la Torah et qui est propre de péché peut aller habiter en Israël.
Mais celui qui se comporte mal, même sur une seule Mitsva ou même sur un détail, il y a une Mitsva sur les autres juifs de le renvoyer d'Israël !
Il ne doit absolument pas avoir d'Aveirot là-bas.
Il ramène le Yaabets, Rabbi Yaacov Emden qui se justifiait lorsqu'on lui demandait pourquoi il n'a pas fait sa Alya, en disant qu'il ne sentait pas assez Tsadik (!!) pour cela.
Dans le Artsot A'haim du Rabbi 'Haïm Pallagi, (Shaar 3 Ot 28) c'est écrit que même un grand 'Hakham - s'il décide d'habiter en Israël - devra se conduire particulièrement béanava, faire profil bas etc.
Le Pélé Yoets (erekh Erets Israël) écrit qu'il vaut mieux habiter en Israël lorsqu'on est en vieux, premièrement (il parlait à son époque) car la Parnassa est difficile là-bas et surtout qu'une faute en Israël est doublement plus grave qu'ailleurs.
Le Vayoel Moshe (Rav Yoel Teitelbaum) aussi écrit dans le Siman §68 que lorsque Rabeinou 'Haim Cohen parlait de la difficulté d'accomplir les Mitsvot, il voulait parler des détails des Mitsvot puisque chaque Aveira là-bas est très grave.
Même le Ramban qui est le leader de la Shita sur le sionisme, dans sa Drasha sur Rosh Hashana, dit sur le Passouk dans Vayikra 18,25 que la Terre va "vomir" ses habitants lorsqu'ils fautent. C'est-à-dire qu'il y a aura des guerres etc. on n'y vivra pas tranquillement tant qu'il y aura des gens qui y font des péchés.
2. Habiter dans un Makom Torah
● Le Tshouvot Veaanagot (I, §900) écrit sur celui qui s'inquiète de sa spiritualité en Israël, il n'est pas sûr d'autant étudier la Torah etc., qu'il ne vienne pas.
Tout ce qu'on voit dans les 'Hazal qu'il faut habiter en Israël était dû au fait qu'en 'Houts Laarets il était très compliqué d'accomplir les Mitvsot, à cause des décrets etc.
Mais si on accomplit déjà la Torah en 'Houts Laarets il vaut mieux y rester, c'est pour cela qu'il est écrit que celui qui habite en Babylone, c'est comme s'il habitait en Israël.
Le but dans tout ça est en effet le Makom Torah, une ambiance de Torah et de Mitvsot.
Le Steipler (le père de Rabbi 'Haim Kaniewski) disait la même chose.
C'est lui qui a créé le Kollel il y a 50 ans à Strasbourg qui a été l'origine de celui de Marseille. Il avait envoyé son gendre là-bas le Rav Shaoul Barzem רב שאול ברזם et d'autres.
Il disait aux Avre'him français à l'époque à Bnei Brak qu'ils avaient une Mitsva d'aller habiter en France pour qu'il y ait un peu plus de Torah en France !
Ils lui ont demandé : mais il y a une Mitsva de Yishouv Erets Israël !
Ce à quoi il a répondu : sous le Stender (lutrin) [au beth hamidrash], c'est Erets Israël.
Il voulait dire que toute la Mitsva est d'être dans une ambiance propice aux Mitvsot.
Encore beaucoup d'autres A'haronim ont écrit cela.
Le dernier Rabbi de 'Habad (Si'hot de l'année 5727 (II page 717) disait aussi la même idée : que ce qui importe c'est l'ambiance de Torah, mais si c'est la même chose en dehors cela convient.
BIEN SÛR, il y a la Kdoushat Haarets, mais lorsque nos 'Hakhamim nous disent d'habiter en Israël ce n'est par rapport à ce point-là.
■ Mais en fait le Meiri, un Rishon, écrivait déjà cela.
À la fin de Ktouvot il écrit qu'à chaque endroit où l'on trouve de la sagesse et de la crainte de fauter, son Din est comme celui d'Erets Israël. (Bien sûr seulement concernant la Mitsva d'y habiter.)
C'est un grand 'Hidoush pour ceux qui sont habitués à la raison du Ramban - de la sainteté de la terre.
Pour le Meiri, apparemment il n'y a pas de Mitsva d'habiter en Israël, au mieux déRabanane ou bien seulement un Inyan mais pas plus.
Le Tashbets Katan aussi (§559) écrit "la Mitsva d'habiter en elle-même, je n'en ai pas connaissance, si ce n'est ce qu'il y a marqué à la fin de Massekhet Ktouvot", qu'il comprend lui aussi comme le Meiri qu'il s'agit d'un conseil afin d'accomplir convenablement les Mitsvot.
3. Le statut de Jérusalem
● Certains ont dit qu'en Israël même, il vaut mieux habiter à Jérusalem qui encore plus saint etc.
Le Rashbash (§2), le 'Hatam Sofer (Yoré Déa §234) et le Troumat Hadeshen (§88) considèrent ainsi que Yeroushalaim est encore mieux car c'est le centre de la Kdousha.
● Mais le Rabbi de Satmar encore une fois ramène dans Al agueoula Veal Atmoura §103 au nom du Zoharei 'Hama qui dit au nom du Zohar 'Hai (du Rabbi Its'hak Eizik, l'Admour de Komarna רבי יצחק אייזיק) exactement l'inverse : que Yeroushalaim est encore plus saint qu'Israël et que pour y habiter il faut vraiment être un Tsadik Gamour.
Et il rajoute que c'est pour cela que le AriZal contournait Jérusalem (!!). C'est terrifiant de savoir ça, ce n'est évidemment pas la Halakha léMaasei, c'est juste une idée dont il faut tenir compte.
Il ramène là-bas qu'il y avait une une Takana vers l'an 1750 pour interdire au célibataire entre vingt ans et soixante ans d'habiter à Jérusalem.
Il souligne que la date de cette Takana est le 5 Iyar, le jour de Haatsmaout !
Et même dans Jérusalem, il faut aussi savoir aussi se comporter au Kotel avec encore plus de crainte et se tenir à carreau.
Il y a une histoire connue du Aderet, le beau-père de Rav Kook - רבי אליהו דוד רבינוביץ' תאומים Rabbi Eliaou David Rabinovitch Teomim.
Il était Rabbin de Ponevitch (Ponevezh) en Lituanie puis il a été Rabbin de Mir et ensuite on lui a proposé en 1901 le poste de Rabbin de Jérusalem pour seconder Rabbi Shmouel Salanter qui était très âgé 85 ans à l'époque et pour éventuellement prendre la suite.
Il raconte qu'en Israël on l'a très bien accueilli etc., mais que dans leur naïveté ils l'ont loué un appartement devant le Kotel.
Il relate à quel point il souffre chaque matin de voir Jérusalem détruite, et qu'il a peur que ça raccourcisse ses jours.
Malheureusement, il est mort (le 3 Adar Alef 1905) quelques quatre ans après seulement, un peu avant ses soixante ans.
Et le plus terrible c'est qu'il est mort avant le Rav de Salant en 1909 à 93 ans qu'il était censé remplacé !
4. La Parnassa
Il est marqué dans Torat Haminkha, un élève du Rashba quelque chose d'étonnant, c'est sûrement le seul à écrire une telle chose.
C'est dans 'helek I page 349.
Il écrit qu'il faut monter en Israël, et même si l'on n'y a pas de Parnassa, il faut avoir confiance en Hashem et tout se passera bien, mais il faut absolument aller en Israël et au pire y faire la manche.
C'est choqu ant et étonnant de tenir une telle position. Personne n'est d'accord avec lui.
● Le Kolbo (§127) ramène au nom du Maharam de Rottenbourg que l'essentiel de la Mitsva du Yishouv Erets Israël c'est lorsqu'on est prêt à décider à être Paroush Béyoter, un grand Tsadik en faisant attention à chaque détail des Mitsvot.
Et lorsque quelqu'un fait cela, on ne peut pas espérer mieux, MAIS - il ajoute - à condition qu'on puisse subvenir à ses besoins tour seul.
Même pour le plus grand Tsadik ça ne va pas. C'est donc clairement contre le Torat Haminkha.
Et tous les A'haronim retiennent l'avis du Kolbo.
Le Méil Tsedaka (§26) dit à propos de celui qui monte en Israël et qu'à cause de ça se nourrit des autres, n'agit pas convenablement.
Le Avnei Nezer 'Hoshen Mishpat §95 et le Guilionei Ashas (de Rav Yossef Engel) sur Ktouvot 110b écrivent que celui qui habite en Israël mais qui a sa Parnassa de 'Houts Laarets n'accomplit pas la Mitsva.
On peut comprendre de deux façons : soit parce qu'il travaille en dehors d'Israël soit parce qu'il reçoit des aides de 'Houts Laarets. (Ce n'est pas la Halakha, c'est tout de même bien si quelqu'un s'organise une Parnassa en France tout en habitant en Israël.)
Le Rashbash Siman Beth, le Péat Hashoul'han (§1) et le Troumat Hadeshen (§88) disent qu'il n'y a pas de Mitsva d'habiter en Israël si on sera réduit à y vivre d'aumônes.
On voit aussi cela dans le Or'hot 'Haim (II, §73), dans le Tashbets Katan (§549), dans le Maharam (§4), dans le ‘Havot Yaïr (§210), le Shout Maharam Shik (Yoré Déa §225) etc.
Ce n'est pas interdit parce que c'est désagréable mais parce qu'ils n'accomplissent pas la Mitsva.
L'idée est explicite à la fin des paroles du Troumat Hadeshen (toujours au Siman 88) : toute personne qui pense monter en Israël devra réfléchir à sa situation et sa capacité physique et financière, voir de quelle manière il pourra accéder à un bon niveau de Yrat Hashem et de respect des Mitsvot, כי זה כל האדם car c'est là tout le but de l'homme.
Ça rejoint un peu tout ce qu'on a dit avant, ce n'est pas par sionisme qu'il faut aller en Israël, c'est pour la Avodat Hashem, pour que nos enfants aussi puissent mieux étudier.
Aller en Israël et y accomplir moins bien les Mitsvot, c'est stupide.
Il faut que ce soit avant tout une Alya Rou'hanit (spirituel), pas seulement une Alya physique.
[Il y a encore pas mal de choses à dire, mais il se fait tard.]
V. LES MAAMAREI 'HAZAL
Il y a des Maamarei 'Hazal, essentiellement à la fin de Massekhet Ktouvot mais ailleurs aussi, qui sont souvent rabâchés et présentés de manière soit tronquée soit mal interprétée, on triche un peu, pour faire croire que si on habite en dehors d'Israël on est un Goy et qu'il faut absolument faire sa Alya.
On va en voire quatre.
1. Autant que toutes les Mitsvot
Il est écrit dans le Sifri de Reeh et dans la Tossefta (Avoda Zara §5, 2) que שקולה ישוב ארץ ישראל כנגד כל המצוות שבתורה Shkoula yishouv Erets Israël kenegued kol hamitsvot shébatorah.
La Mitsva d'habiter en Israël pèse autant que toutes les autres Mitsvot de la Torah, et donc on peut aller en Israël et ne plus rien faire !
Non, ça ne marche pas comme ça.
D'abord ça a été dit sur d'autres choses, par exemple sur les Tsitsit - et il est évident que la personne qui en porte ne peut pas manger du cochon.
Cela ne veut que dire que cette Mitsva a la capacité de nous amener à accomplir toute la Torah.
Dans le Tsitsit, par exemple les comptes des fils nous rappellent les 613 Mitsvot.
De même en habitant en Erets Israël ça nous amènera à accomplir toutes les Mitsvot.
● Le Péat Hashoul'han a voulu prouvé à partir de là que c'est une Mitsva de la Torah, car on n'a jamais vu qu'une Mitsva déRabanane vaudrait toutes les Mitsvot de la Torah !
Sa preuve n'est pas excellente.
D'abord on pourrait dire qu'à l'époque du Temple la Mitsva était déOrayta et qu'aujourd'hui elle est déRabanane.
Et surtout, on a vu des A'haronim écrire sur des Mitsvot déRabanane qu'elles valaient autant que toute la Torah.
Par exemple le Kidoush Lévana dans Yossef Omets (§467), la lecture de la Parasha Shabbat dans Ménorat Hamaot (III page 328), la Mitsva d'accompagner le mort (Lévaya qui est d'après certains dérabanan) dans 'Homat Hanakh du 'Hida Parashat Vayeira Ot 6.
Quoi qu'il en soit, Rabbi Yoel de Satmar aurait dit que ce Maamar n'a été dit que pour un Tsadik.
Mais quelqu'un qui fait des Aveirot, un Rasha, shkoula yishouv Erets Israël kenegued kol haaverot shébatorah, faire sa Alya serait aussi grave que toutes les Aveirot de la Torah.
2. Marcher deux mètres en Israël
Celui qui marche quatre amot (deux mètres) en Erets Israël, est certain qu'il méritera le Olam Haba.
C'est marqué dans Ktouvot 111a.
Évidemment, il est absurde et impensable de prendre ça au mot.
Le Iyoun Yaacov veut expliquer que c'est une allusion à ce qui est marqué dans la Gmara Brakhot 8, אין להקדוש ברוך הוא בעולמו אלא ד' אמות של הלכה ein lakadosh baroukh hou baolamo ela arba amot- Hashem n'a dans Son monde que les 4 Amot de la Halakha.
L'idée est de marcher dans les 4 Amot de la Halakha, et en plus résider en Israël, alors là on est sûr d'avoir une grande part au Olam Haba.
Et pourquoi spécialement en Israël ? Il écrit car Avira Deerets Israël Ma'hkima (Baba Batra 158b), "l'air d'Israël rend sage".
Dans le Likoutei Etsot du Rav Na'hman de Breslev dans erekh Erets Israël §13, c'est écrit que ce Maamar n'a été dit qu'au sujet de celui décide de faire sa Alya dans l'intention de se rapprocher de D.ieu et de bien faire ses Mitsvot, mais sans cela, le mérite de la Terre ne lui servira à rien du tout et au contraire, elle le vomira etc.
On voit dans le Yeroushalmi Shabbat Perek 1 à la fin de Halakha 3 que c'est marqué un peu différemment : tout celui qui habite de manière fixe en Erets Israël, qui mange du 'Houlin en état de pureté, qui parle en langue sainte et qui fait bien le Chéma et les Tfilot, celui-ci est sûr qu'il aura le Olam Haba. Ça ne suffit pas de simplement marcher quatre Amot.
3. Lavé de tout péché
Aussi dans Ktouvot 111a : celui qui habite en Israël n'a pas de faute.
Le Rambam ramène ça différemment dans Hilkhot Melakhim §5, 11, ses péchés lui seront pardonnés.
Le Pnei Yéhoshoua explique qu'on parle uniquement de celui qui habite en Israël avec l'intention d'y accomplir convenablement les Mitsvot, mais quelqu'un qui manque de respect à la Kdousha de la terre et se laisse aller à son Yetser Hara, ses fautes ne lui sont pas pardonnées.
Preuve en est que nos ancêtres se sont fait expulsés en Galout justement à cause de leurs fautes !
Le Artsot A'haim (Shaar 4 Ot 4) veut expliquer qu'il s'agit uniquement des fautes par inadvertance (les shogueguin), mais dans les mots ça ne rentre pas très bien car la Gmara parle de Avone qui fait penser au Mezid. Pour un Shogueg on aurait dû dire 'Het.
Le Kolbo au Siman 127 écrit que ça ne concerne que celui qui en arrivant prend sur lui d'être un Paroush Gamour un grand Tsadik, à lui ses fautes seront pardonnées.
Le Ets Yossef explique que ça veut dire que la Tshouva est agréée plus facilement s'il est en Israël.
Le Iyoun Yaacov ramène quatre explications sur ce Maamar:
1 - C'est uniquement pour celui qui accomplit bien les Mitsvot qui dépendent de la Terre.
C'est ce qui ressort du Midrash qui dit que nos ancêtres ont été exilé d'Israël pour avoir transgressé les Mitsvot Hatlouyot Baarets.
2 - On reste seulement sans Avone, mais il peut avoir des Pshaïm. La preuve est qu'on a été exilé à cause des Pshaïm.
Sans faire exprès c'est 'Het, volontairement c'est Avone, et avec encore plus de mauvaise intention c'est פשע. (C'est ce qu'écrit le Malbim dans Yaïr Or ot 8, §11)
3 - Uniquement au début, lorsqu'il vient d'arriver en Israël, on lui enlève ses péchés. Pourquoi ? À cause de la souffrance engendrée par la Alya.
4 - Il dit ça au nom de son père : son péché n'est pas effacé, mais il est considéré comme un Shogueg.
(Ça ne rentre pas avec la version du Rambam qu'on a vue plus haut)
4. Ville majoritairement Goy
Un homme doit habiter en Israël même dans une ville majoritairement goy plutôt que d'habiter des une ville de 'Houts Laarets majoritairement juive.
Pourquoi ? Car celui qui habite en Israël ressemble à quelqu'un qui a un D.ieu mais celui qui habite en dehors d'Israël ressemble à un athée.
(C'est dans Ktouvot 110b לעולם ידור אדם בא"י אפי' בעיר שרובה עובדי כוכבים ואל ידור בחו"ל ואפילו בעיר שרובה ישראל שכל הדר בארץ ישראל דומה כמי שיש לו אלוה וכל הדר בחוצה לארץ דומה כמי שאין לו אלוה - Leolam yadour adam beerets israel afilou beir shéroba ovdei kokhavim véal yadour bé'houl afilou béir shéroba israel, shékol hadar beerets israel domé kémi shéyesh lo éloka vékol hadar bé'houts laarets domé kémi shéen lo éloka.)
C'est étrange.
Bien sûr le Rabbi de Satmar, le Vayoel Moshé (§133) intervient et dit que ça ne s'applique que si la ville en Israël est majoritairement Goy, mais s'il y a des juifs renégats (Minim/Réchayim) alors il vaut mieux habiter dehors.
Le Riaf, Rabbi Yéshayaou Pinto explique que celui qui habite en 'Houts Laarets n'accomplit pas les Mitsvot dépendantes de la terre, on dirait qu'il n'a pas de D.
Le Meiri là-bas explique que 'Houts Laarets est l'endroit fixe des Goyim, et il est très difficile de ne pas se laisser aller comme eux, moins bien faire les Mitsvot etc. Et c'est pour cela que celui qui habite en dehors est présenté négativement.
Mais il rajoute que celui qui habite dans un Makom Torah et une ambiance de Mitsvot, c'est comme Erets Israël.
Le Tshouvot Veaanagot (I, §900), écrit qu'en 'Houts Laarets on ne peut pas bien accomplir les Mitsvot à cause des Gzeirot etc. Encore une fois il n'y a pas de problème pour un Makom Torah en dehors.
● Le Rambam dans Hilkhot Melakhim §5, 12 n'a pas la version "celui qui habite en dehors", mais "celui qui sort d'Israël, c'est lui qui ressemble à quelqu'un qui n'a pas de D.".
Le Maharit Tsahalon (Maharitats - Rav Yom Tov Tsahalon) dans son Shout §85, s'étonne car ce n'est pas ce qui est écrit dans la Gmara !
Et il explique que le Rambam a écrit cela pour excuser les juifs qui habitent en dehors d'Israël. C'est très étrange comme idée, 'has véshalom de dire que le Rambam a changé la version de la Gmara intentionnellement.
En plus, il aurait pu se douter que le Rambam a une version différente de la Gmara. Rav Tsvi Berlin dans ses Hagaot ramène la Guirsa qu'avait le Rambam.
le Rambam ne l'a évidemment pas inventé, et cette version se retrouve aussi dans la Tossefta (Avoda Zara §5), dans Torat Cohanim (Parshat Behar), dans Avot dérabbi Nathan (§26), dans le Yalkout Shimoni (sur la Torah §766 et sur Shmouel §139) et dans Rashi Mahadoura Kama ramené par la Shita Mekoubetset.
VI. RÉCAPITULATIF
● Les Rishonim qui pensent que la Mitsva est min Hatorah : le Ramban, le Rashbats, et son fils le Rashbash.
● Les Gueonim ou Rishonim qui pensent que c'est déRabanane, ou moins que ça juste un bon conseil : Rabbeinou 'Haim Cohen, Rashi, le Ritva, le Meiri, le Rassag, le Behag, le Smag, le Kaftor Vaferakh, Sefer Hatroumah, le Tashbets Katan, le Sefer Ha'hinoukh, le Yreim.
● On a vu dans l'avis du Rambam, quatre explications : Dérabanane - de nos jours plus de Mitsva - Min Hatorah (non décomptée car englobante) - Min Hatorah en tant que Hekhsher Mitsva.
● La majeure partie des A'haronim pensent (s'il y a Mitsva) qu'elle est Kiyoumit : c'est bien si on l'a fait mais on n'a pas d'Aveira si l'on ne fait pas la Alya.
● Même si c'est 'Hiyouvit, ça ne doit pas dépasser un cinquième des possessions financières.
● On a parlé des trois serments, si la déclaration Belfour y change quelque chose.
● Il faut être un Tsadik ou au moins se comporter parfaitement pour habiter en Israël, et particulièrement à Yeroushalaim.
● On a vu qu'il est interdit de faire sa Alya si on sait qu'on va y être pauvre.
● Enfin, on a donné les explications sur quelques Maamarei 'Hazal qui semblaient dire qu'on doit absolument faire sa Alya et on les a un peu relativisés.