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Zohar et Place du Mysticisme dans le Judaïsme

Retranscription libre des Shiourim de Rav Wattenberg

 

 

Cet écrit est adapté de plusieurs cours.
Seul La place du Mysticisme (2017) est disponible en audio :

[ Centre-Alef  Torah-Box ]

 


Quelques précisions pour commencer.

Il faut bien distinguer entre le Zohar et la Kabbale.
La Kabbala est une science ésotérique, toutes sortes de secrets qui font partie de la Torah Orale transmise à Moshé au Sinaï.
Tandis que le Zohar n'est qu'un livre.
Et la question s'est posée si le Zohar est un véritable livre de Kabbale qu'on attribuerait aux enseignements de Rabbi Shimon bar Yo'haï (Rashbi), ou bien a-t-il simplement été écrit par un Kabbaliste tardif.

La notion de Kabbale, quant à elle, est clairement admise dans le Talmud bien qu'elle n'y est pas explicitée.
Dans le deuxième chapitre du traité 'Haguigah dans la Mishna, il est dit qu'on ne doit pas enseigner les notions kabbalistiques en présence de nombreux élèves, qu'il faut un public averti etc. On a encore dans Souka 28 et dans Baba Batra 134 la Gmara qui nous dit que Raban Yo'hanan ben Zakaï le plus petit élève de Hillel a tout étudié, même le Maasei Bereshit et le Maasei Merkava - généralement identifiés à la Kabbala (malgré ce que dira le Rambam).


Dans la première partie, on va se concentrer sur l'historique du Zohar, ce qu'en ont pensé les grands Rabbanim et Mékoubalim au cours du temps (on donnera quinze grandes étapes).

On parlera ensuite plus spécifiquement de la paternité du Zohar : on amènera des passages qui ne peuvent pas avoir été écrits par Rashbi, puis au contraire d'autres passages qui témoignent de l'ancienneté du Zohar. Enfin on conclura et on rapportera la vision du judaïsme orthodoxe de ce dernier siècle.

Pour la troisième partie, on parlera de l'étude de la Kabbala : plusieurs conditions à remplir avant, et les risques de cette étude pour des personnes non-initiées

On parlera ensuite de la place du mysticisme dans la vie de tous les jours : coutumes kabbalistiques et contradictions entre le Zohar et la Halakha.

Enfin, on parlera de l'éventuelle analogie entre Kabbala et Philosophie. Puis de la chaîne de transmission orale de la Kabbala.

 

HISTORIQUE DU ZOHAR

1.Rabbi Moshé de Léon (XIIIe siècle)

2. Be'hinat Hadat du Rav Elia Delmedigo (1491)

3. Le Arizal (XVIe siècle)

4. Polémique autour de l'impression du Zohar (1558)

Les non-juifs qui ont étudié la Kabbala

5. Matsref La'hokhma du Yashar MiKandia (1629)

6. Rabbi Yehouda Arié de Modène (1639)

7. Shabtaï Tsvi, le faux-messie

8. Le Ram'hal

9. La Synode de Brody (1756)

10. Mitpa'hat Sfarim du Yaabets (1768)

11. Ben Yo'hai du Rav de Konits (1815)

12. Shadal (1852)

13. Maguen Vetsina du Rav Eizik 'Haver (1856)

14. Rabbi David Louria, le Radal (1857)

Les historiens laïcs

15. Rav Yerou'ham Leiner (1951)

PATERNITÉ DU ZOHAR

1. Preuves de falsification ou d'ajouts

a. Les Bnei Haélokim

b. La Gmara Kidoushin

c. Ce n'est pas un gros problème

2. Preuves d'Authenticité

a. Pas de volonté de falsification

b. Terre ronde, et dérive des continents

3. Conclusions

4. La vision actuelle du judaïsme orthodoxe

ÉTUDE DE LA KABBALA

1. Des Notions perdues

2. Kabbala pour tous ?

3. Plusieurs conditions

4. Les dangers de la Kabbala

a. La notion de Tsimtsoum

b. Kavanot pour la prière et Sfirot

c. D'autres dérives

LA PLACE DE LA KABBALE DANS LE JUDAÏSME

1. Des Coutumes Kabbalistiques

2. Contradictions entre le Zohar et la Halakha

L'avis particulier du Gaon de Vilna

3. Zohar qui ne contredit pas la Halakha

Suivre Halakhiquement un Midrash ?

4. Une dévalorisation du Zohar ?

5. Les propos du 'Hatam Sofer

KABBALA ET PHILOSOPHIE

TRANSMISSION DE LA KABBALA

 

 

 

 

 

HISTORIQUE DU ZOHAR

 

 

1.Rabbi Moshé de Léon (XIIIe siècle)

 

Vers la fin du treizième siècle (~1280) en Espagne, Rabbi Moshé de Léon fait recopier des textes qui proviendrait selon lui d'un long manuscrit appelé le Zohar recueil des enseignements de Kabbala de Rabbi Shimon bar Yo'haï (IIe siècle).

Pleins de notions kaballistiques ont alors été diffusées (les kavanot, les sfirot etc.).

Le Sefer You'hassin de Rabbi Avraham Zacuto (imprimé en 1504, page 131), ramené par le Seder Hadorot (II page 367) du Rav Halpern, ramène un témoignage écrit d'un certain Rabbi Its'hak de Akko (Acre).

À cette époque les rumeurs disaient que les textes en araméen étaient du Tana Rabbi Shimon bar Yo'haï et ceux en hébreu de Rabbi Moshé de Léon.

Ce Rabbi Its'hak est alors parti jusqu'en Espagne pour mener son enquête.
Lorsqu'il arrive, Rabbi Moshé de Léon lui jure qu'il a un véritable manuscrit et l'invite à venir chez lui.
Malheureusement il meurt sur la route et le mystère reste entier.

Rabbi Its'hak se rend tout de même dans sa ville où il rencontre un certain Rav David Rafane (dans certains textes il est mentionné sa parenté avec Rabbi Moshé de Léon).
Celui-ci lui raconte qu'une amie de la femme du Rav Moshe de Léon lui a raconté que cette dernière avait demandé à son mari d'avouer que c'était lui qui avait écrit le Zohar car il en aurait beaucoup d'honneur, ce à quoi il aurait répondu qu'il préférait l'argent à l'honneur.

Rabbi Its'hak continue à se renseigner et fait la rencontre de Rabbi Yossef Halévy ben Rabbi Todros qui lui certifie de la véracité du manuscrit du Zohar.
D'autres encore ont reconnu qu'il y avait bien un manuscrit mais que celui-ci n'était pas authentique.
L'histoire de Rabbi Its'hak s'arrête là et l'origine du Zohar à cette époque n'est toujours pas clair.


Des Rabbanim se sont tout de suite opposés au Rabbi de Léon et l'ont accusé d'avoir lui-même écrit ce texte.
Rabbi Yossef Ibn Bakar notamment, un contemporain du Rav de Léon, dira que le Zohar est truffé d'erreurs (Otsar Israel IV page 219).

Seulement, tant qu'il n'y a pas d'imprimeries le Zohar n'a qu'un faible retentissement et il n'y a pas de polémique sérieuse.

 

 

2. Be'hinat Hadat du Rav Elia Delmedigo (1491)

 

Plus tard vers 1491 un très grand Rav qui s'appelait Rav Elia (Rofé) Delmedigo écrit le Be'hinat Hadat (l'Examen de la Religion - livre court et très intéressant à prendre avec du recul) qui sera imprimé vers 1622.

Ce Rav était originaire de Crète, et a ensuite habitué en Italie.
Accessoirement c'était le maître de Pic de la Mirandole en matière de Kabbale.
Il est mort très jeune, à 33 ans. Mais a il a quand même eu le temps d'écrire un livre contre le Zohar.

 

Il s'oppose au Zohar de manière catégorique et estime qu'il a au maximum trois cents ans d'âge (vers 1191 - si on dit ça alors même le Rambam aurait pu le lire et ça arrange beaucoup de questions, voir le cours sur la Rambam).

En page 5b il dit que les Gdolim n'ont jamais entendu parler du Zohar. Donc ces notions ne sont sûrement pas essentiels dans le judaïsme.
Il ramène plusieurs preuves que le Zohar a été écrit tardivement.

Par exemple la mention de Rabbanim dans le Zohar postérieurs à Rabbi Shimon Bar Yo'hai.

Pire encore, il y a un désordre terrible dans la chronologie : des Rabbins du 5ème siècle s'adressent à des Rabbins du 3ème siècle par exemple !

Il s'oppose encore à la notion des Kabbalistes que notre but sur Terre est d'arranger les mondes supérieurs, les sphères célestes, et autres canaux (tsinorot). Le but des préceptes de la Torah est plutôt d'arranger l'homme ici-bas.

 

 

3. Le Arizal (XVIe siècle)

 

Un peu après, au seizième siècle, on a un des plus grands kabbalistes, Rabbi Its'hak Louria - le Arizal (décédé en 1572 à 38 ans) et son élève le Mahar'hou - Rabbi 'Haim Vital.

Le Arizal a été le grand rénovateur de la Kabbala, il a repris toutes les notions qu'on avait comprises jusque-là (même de ses contemporains comme Rav Moshé Cordovéro) et les a expliquées différemment.
Sa vision de la Kabbala a changé énormément de choses, à tel point qu'on distingue l'ancienne et la nouvelle Kabbala (celle dite de Cordovero et celle dite lourianique).
Ce sont ses élèves qui ont recueilli la plupart de ses enseignements et particulièrement le Mahar'hou.

Ces deux grands kabbalistes ont toujours étaient formellement opposés à la diffusion du Zohar et de leurs propres écrits. Ils ne devaient être réservés qu'aux initiés.
Mais ceux-ci seront finalement publiés contre leur gré, après leurs morts.

 

 

4. Polémique autour de l'impression du Zohar (1558)

 

Le Zohar est imprimé pour la première fois en 1558 en Italie à deux endroits différents, Mantoue et Crémone.

Un grand Rav de l'époque en avait donné son approbation.

Plusieurs Rabbanim l'en ont félicité.

Mais d'autres - même parmi ceux qui reconnaissaient le Zohar malgré les quelques ajouts indiscutables - se sont farouchement opposés à cette diffusion d'écrits de Kabbala à des gens non-initiés qui n'ont pas encore étudié le Shass et les Poskim.

Le Rama (Rabbi Moshé Isserles, l'auteur des annotations sur le Shoul'han Aroukh pour les ashkénazim) dans son Torat Haola et le Maharshal en Pologne (dans son responsa §98) - tous deux Mékoubalim, s'opposent à toute sorte de novations dans la Kabbala, ainsi qu'à la diffusion de ces textes.

Le Zohar est malgré tout réimprimé en 1623-1624 à Lublin.


Ceux qui argumentent pour l'impression du Zohar se basent sur un Tikounei Zohar (Tikoun 6) qui dit qu'à la fin des temps les secrets seront dévoilés.

Mais le Rabbi Tsadok Hacohen de Lublin ne les comprend pas, comment savent-ils qu'on est à la fin des temps ?
Et il ajoute que le Arizal et le Rabbi 'Haim Vital s'étaient opposés à la diffusion de leurs écrits.

Malgré tout, Rabbi Tsadok conclut que ce n'est pas un grand mal : ceux qui vont lire n'y comprendront rien.

Le Baal Hatania aussi aurait dit dans Igueret Hakodesh (§26) que ce qui est dit dans le Tikounei Zohar s'applique APRES la venue du messie, pas avant.

Le Zohar s'est tellement diffusé, qu'il est même devenu populaire auprès des Goyim.

 

Les non-juifs qui ont étudié la Kabbala

 

Le Zohar a été traduit plusieurs fois en latin, ce qui a facilité sa lecture parmi les non-juifs.

Il y a aussi eu plusieurs traductions du Zohar en français. Celle de Guillaume Postel au 16ème siècle, et plus récemment une traduction de Jean Poly.

Surtout, plein de curés comprenaient l'araméen pour pouvoir comprendre le Talmud et pouvaient donc aussi traduire le Zohar.

Mais généralement, les non-juifs avaient simplement un maître en Kabbala (juif).


Ainsi, plusieurs chrétiens ont utilisé les thèses du Zohar et de la Kabbala pour justifier leur religion (que c'est possible de diviser une divinité infinie etc.). Par exemple Arnaud de Villeneuve, un médecin catalan, a écrit en 1292 Discours sur le Tétragramme (Nom divin), où il essaye de retrouver - avec la forme de ces quatre lettres et des calculs de valeur numérique - des preuves de la Trinité.

Au 13ème siècle, un mathématicien nommé Raymond Lulle essayait d'ajuster les avis du Sefer Yetsira avec les théories mathématiques de son époque (il arrivait à trouver des liens).
Même dans la Kabbala d'aujourd'hui beaucoup de personnes trouvent des liens avec les mathématiques modernes, ou encore les codes binaires.

Au quinzième siècle, Johannes Reuchlin étudiait la Kabbala.


Plus tard, une certaine Marquise de Croix étudiait la Kabbale comme c'est marqué dans le livre Maagal Tov (page 18) du 'Hida.

C'est le carnet de bord de ses voyages : il a fait deux voyages en Europe afin de ramasser de l'argent pour les Yeshivot et le Yishouv en Erets Israel.
Pour le second passage, vers 1776, il passe à Versailles et rencontre le roi Louis XVI.
Un de ses amis a réussi à le faire entrer à la bibliothèque nationale pour qu'il puisse y emprunter des livres. C'était une permission exceptionnelle.
Il recopiait les livres toute la nuit et les ramenait le lendemain. Il se trouvait en effet pleins de livres très intéressants encore à l'état de manuscrit dans cette bibliothèque.

Là-bas, la Marquise de Croix demande à rencontrer le 'Hida pour étudier avec lui un texte du Zohar. Celui-ci accepte, mais il témoignera qu'elle n'y comprenait rien du tout.
Le maître de la Marquise de Croix était le Baal Shem de Londres - que le 'Hida ne manque pas d'insulter dans son livre.

 

 

5. Matsref La'hokhma du Yashar MiKandia (1629)

 

En 1629, le Yashar Mikandia, Rav Yossef Shlomo Rofé Delmedigo écrit un livre contre le Be'hinat Hadat de son grand-oncle Rav Elie Delmedigo


Yashar Mikandia a été l'un des personnages les plus ambigües que le peuple juif a connu mais il était à coup sûr un grand Tsadik et Talmid 'Hakham
Il avait une culture incroyable - même les Goyim le reconnaissaient
Il a écrit dans tous les domaines. Il dit lui-même qu'il a lu tous les livres qui existaient (à son époque - mais c'était déjà énorme). Il était ainsi expert dans toutes les sciences, en Torah, en Kabbala, en philosophie. Il parlait et lisait couramment plusieurs langues : le grec, le latin, l'espagnol, l'italien, le français et a écrit des livres dans plusieurs langues.
Son livre le plus connu est le Sefer Alim (ou Ilem), où il traite de sciences naturelles, d'astronomies, de mathématiques et de métaphysique.
Il a appris l'astronomie auprès de Galilée. Il était en effet élève à l'université de PadoueGalilée a enseigné jusqu'en 1611.
C'était un peu le prototype du juif errant qui est passé par plein de pays, et qui pratiquait à chaque fois un nouveau métier (juge Rabbinique - dayan, directeur d'académie talmudique - rosh yeshiva, médecin à la cour d'un certain duc en Pologne etc.)


En tout cas, dans son Matsref La'hokhma il vient réfuter tous les arguments du Bé'hinat Hadat et défendre la Kabbala contre les philosophes.

Le problème c'est qu'au milieu de son Matsref La'hokhma (page 20a) il précise qu'il a écrit son livre parce qu'un ami lui avait demandé de défendre le Zohar et le Kabbala, mais que s'il lui avait demandé exactement l'inverse (défendre la philosophie contre la Kabbale), il l'aurait fait aussi !
Et il finit son livre en disant que si on s'imagine pouvoir connaître l'avis d'un auteur à travers ses écrits on se trompe complètement. Seul Celui qui sonde les cœurs (D.ieu) sait.
Il ajoute qu'il sait bien que les jeunes vont se moquer de lui, mais il préfère mille fois passer pour un imbécile aux yeux de ses semblables toute sa vie plutôt que d'être un mécréant (Rasha) un seul instant devant son Créateur.
On ne sait donc pas vraiment ce qu'il pense ...

Beaucoup lui ont reproché cette attitude.

Notamment Rav Baroukh Epstein, l'auteur du Torah Tmima (début 20ème siècle), dans son Mekor Baroukh (IV page 1858). Le Yaabets aussi, Rabbi Yaacov Emden, le lui reproche dans son Mitpa'hat Sfarim (II, §9 page 155 dans la nouvelle édition). Le Rav Yéhouda Arié de Modène aussi que l'on va mentionner juste après (Ari Nohem page 38).


Rav Yaïr 'Haïm Bakhrakh dans son responsa 'Havot Yaïr (imprimé en 1699) au chapitre 210 (page 110c) conclut effectivement que le Yashar ne pensait pas ce qu'il a écrit (le mal sur les philosophes etc.).

Rav Wattenberg pense avoir une grande preuve pour le 'Havot Yaïr : on a retrouvé une lettre du Yashar Mikandia Igueret A'houz (publié dans Mélo 'Hofnaïm à Berlin en 1840) où il s'oppose aux Sfirot et ramène des noms tardifs de Rabbanim dans le Zohar.
Il ajoute que beaucoup de notions des kabbalistes ont été empruntées aux chrétiens (!) ou encore qu'ils ont inventé des notions kabbalistiques etc. Il rajoute que ce sont les légers d'esprit qui croient réellement que Rashbi est l'auteur du Zohar.

Un certain Friedman a écrit une biographie sur le Yashar, Toldot Yashar. À la page 30 il propose de dire que Yashar avait peur qu'on lui fasse ce qui est arrivé à Galilée ou encore à Uriel (Gabriel) da Costa. Ce dernier venait d'une famille marrane qui est ensuite revenue au judaïsme, mais il n'a finalement pas trouvé son compte non plus dans le judaïsme et a commencé à émettre toutes sortes de thèses qui ont déplu à certains Rabbins qui l'ont mis au ban, et il finit par se suicider.

 

 

6. Rabbi Yehouda Arié de Modène (1639)

 

Dix ans plus tard en 1639, un très grand Rav, Dayan à Venise, Rabbi Yehouda Arié de Modène (di Modena) écrit le livre Ari Nohem.

Il est l'auteur du Piroush Haboné sur le Ein Yaakov, un commentaire intéressant avec de bonnes idées.
Si les gens dans les Yeshivot réalisaient qui en est l'auteur, ils brûleraient sûrement le livre, seulement ils ne le savent pas et il se trouve dans toutes les Yeshivot :-).
Il faut savoir que la majeure partie des juifs aujourd'hui ont une hashkafa du judaïsme qui condamnerait sans appel ce Rav.

Rabbi Yéhouda Arié de Modène était assurément un Tsadik, mais il était aussi un peu particulier.
D'abord, il possédait et dirigeait un théâtre dans le ghetto de Venise (une académie musicale), où il y avait des spectacles et deux concerts par semaine !
Dans son autobiographie, 'Hayei Yehouda (page 33) il parle fièrement de son théâtre ainsi que de son gendre Talmid 'Hakham plein de bonnes midot ... et qui est aussi un professeur de danse et de chant et un acteur réputé !
De nos jours la plupart des rabbins sont très frileux sur ce genre de sujets.
En particulier ils avancent l'argument de la perte de temps et du Bitoul Torah.
Rav Wattenberg n'est pas d'accord avec ce point de vue : oui c'est du Bitoul Torah.
Mais ce n'est pas pire que le Bitoul Torah que les gens peuvent faire même dans les quartiers orthodoxes d'Israël où l'on parle de politique pendant des heures (comme en France on parle du foot).
Parfois Bitoula zé Kiyouma, on peut aller au théâtre pour s'aérer un peu avant de retourner à sa Gmara (bien sûr s'il n'y pas de problème de Pritsout ou d'Avoda Zara).

Il parle encore dans son autobiographie de son addiction aux jeux d'argent (aux cartes) : toute sa vie il s'en repent puis rechute. (Ce n'est pas un problème de Halakha s'il gagne déjà sa Parnassa d'un véritable métier, et le Rav de Modène a pratiqué 26 métiers !) Il perdait tous ses sous etc. C'est intéressant de voir l'honnêteté de ce Rabbin qui a le courage de parler de ses faiblesses.
Il devait considérer qu'en parler constitue un Kidoush Hashem, sur la franchise des Rabbins sur leurs faiblesses plutôt que des tentatives de se glorifier.

Les rabbins italiens sont souvent plus originaux que les autres, le Ram'hal aussi écrivait des pièces de théâtre il était dramaturge !
(Ces rabbins du 16ème siècle avaient une Torah et une vie beaucoup plus Emet qu'aujourd'hui avec tous les protocoles etc. Voir le Shiour sur Simanei Hashass vers 44 mn)


En tout cas son livre a fait un rugissement royal dans le monde entier ! Au début il a été diffusé en Italie, puis son impression en Pologne en 1840 a relancé la polémique pour la deuxième fois.


Le Ari Nohem veut prouver que le Zohar est falsifié en trente-et-un chapitres. Il est d'accord qu'il existe des secrets de Kabbala, mais le Zohar n'en fait pas partie.
Il ramène beaucoup des arguments du Bé'hinat Hadat en tenant compte de ce qui a déjà été contredit.

Il objecte que si le Zohar contient vraiment de véritables secrets de Torah, alors pourquoi la Halakha ne tranche pas ainsi mais plutôt comme la Gmara.

De plus l'auteur du Zohar ramène parfois des décisions contraires à la Mishna ou à la Gmara (Rabbi Yehouda de Modène ne considérait pas que l'auteur était Rabbi Shimon bar Yo'haï, un Tana, contemporain à la Mishna).

Il rajoute que même dans les sciences profanes il y a des erreurs !

Aussi l'histoire de Kavanot (intentions particulières détournés) dans la Tfila n'est pas logique - pourquoi ça ne marcherait pas de simplement penser à ce qu'on dit ?


À part ça, les Mékoubalim prétendent que certaines Néshamot ne sont pas aptes à la sagesse de la Kabbala, par exemple que le Arizal serait arrivé à des notions que le Rav Moshé Cordovero n'a pas pu atteindre- le Beit Yossef est donc un niveau au-dessous puisqu'il n'a pu accéder qu'à la Kabbale de Rav Cordovero, le Rambam n'en parlons pas.
Le Rav de Modène s'étonne donc que plein de grands Rabbanim (dont des Rishonim) n'aient rien compris à la Kabbale (avant le Arizal), alors que maintenant les "jeunes" Rabbanim la comprennent - et même des non-juifs (voir un peu plus haut).

Il s'étonne encore du fait que dans tous le Shass Bavli et Yeroushalmi ainsi que dans les Midrashim il n'y a aucune allusion au Zohar.

Aussi, dans tous le Shass, Rabbi Shimon bar Yo'haï ne nous parle jamais de grands secrets, seulement de choses simples (de pshat).

Un autre élément, non ramené par le Rav de Modène est que dans le Zohar, Rabbi Shimon côtoie le prophète Elie quotidiennement, et parfois il lui fait même des reproches !
Tandis que le Talmud Méila 17b, on nous dit que Rabbi Shimon pleure en lisant le passage de la Genèse où on voit Hagar qui n'était que la servante d'Avraham côtoyait et discutait avec des anges. Rashbi pleurait parce qu'il n'avait pas atteint ce niveau.

Le Rav de Modène est aussi choqué par la notion des Sfirot (voir plus bas), ça ressemble beaucoup au christianisme et à la Trinité.

À part ça il ajoute qu'il est connu que des non-juifs ont écrit deux livres qu'ils ont attribué à Ezra Hasofer, et que c'est seulement ensuite qu'on s'est rendu compte de la tromperie. Donc attribuer un livre à quelqu'un longtemps après sa mort n'est pas toujours très crédible.


Il conclut donc que le Zohar est falsifié, qu'il n'a rien à voir avec Rabbi Shimon bar Yo'haï et qu'il a été écrit au plus tard y a 350 ans (donc vers 1289) - ce qui est plus ou moins l'époque de Rabbi Moshé de Léon.


L'impression du Ari Nohem en 1840 (beaucoup plus tard) va susciter de vives réactions à l'écrit de la part des opposants.
Parmi les livres rédigés à l'encontre du Ari Nohem , on peut citer le Mil'hemet Moshé du Ram'hal et le Maguen Vetsina du Rav Its'hak Eizik 'Haver (on en reparlera plus bas).
Il y a aussi le Emat Mafguia, imprimé en 1855 par Rav Eliaou Benamozegh.
Et un second Emat Mafguia qui s'oppose aussi au Ari Nohem, imprimé en 1888 par Rabbi Moshé ben Ephraïm Sofer. (Beaucoup ont confondu les deux)

 

 

7. Shabtaï Tsvi, le faux-messie

 

Au XVIIe siècle commence l'épopée du faux-messie Shabtaï Tsvi (mort en 1676) qui aura comme cheval de bataille le Zohar et le Kabbale (dont la Kabbala Maasit), et laissera de côté le Talmud.

Les sectes suivantes, en particulier celle de Jacob Frank vont encore plus oublier le Talmud, parfois ils vont le brûler.


Ainsi beaucoup de Rabbanim se sont opposés au Zohar pour contrer l'effet dévastateur des faux-messies.

Et inversement d'autres Rabbanim ont voulu redorer l'image de la Kabbala.

Notamment Rabbi Aviad Sar Shalom Basila de Mantoue qui écrit en 1730 le Emounat 'Hakhamim pour justifier la Kabbala et défendre le Zohar. C'était un élève du Rabbi Yéhouda Bril et un ami du Rav Its'hak Lampronti.

 

 

8. Le Ram'hal

 

À la même époque le Ram'hal (Rabbi Moshé 'Haim Luzzato) écrit plusieurs livres de Kabbala très pointus.

Il est décédé plus ou moins en 1747, à environ trente-huit ans.
Il a donc écrit ses livres très jeune, en Italie.
Son Rav était le Mahari Bassan, Rabbi Yeshaya Bassan.

Les Rabbanim de l'époque avaient interdit au Ram'hal de vulgariser de telles notions kabbalistiques.
Ils ont convoqué son maître le Rabbi Bassan mais celui-ci a pris parti pour son élève, et les autres Rabbanim ont fini par l'autoriser à écrire ses livres mais sans les diffuser.
Seulement le Ram'hal a encore continué à diffuser une partie de ses livres. Ils ont donc reconvoqué le Rabbi Bassan qui cette fois s'est opposé à son élève.
Ils ont alors enfermé tous ses écrits dans une malle fermée avec deux cadenas (les deux clés se trouvant chez deux Rav différents) et ont menacé quiconque qui l'ouvrait d'excommunication.

Rabbi Moshé 'Haguiz - le principal opposant au Ram'hal, fils de Rabbi Yehouda 'Haguiz qui était Rav en Israël - a exigé que la malle soit sortie d'Italie pour l'amener chez lui à Amsterdam ou à Francfort en Allemagne chez tel Rav.
La malle est bien partie mais n'est jamais arrivée. Elle a été ouverte et c'est comme ça que l'on a aujourd'hui les livres de Kabbale du Ram'hal.


Il faut savoir que le Rav Moshé 'Haguiz et le Yaabets ont été très virulents contre le Ram'hal lors de cette polémique (voir par exemple le Torat Haknaot du Yaabets page 105a où il l'insulte sévèrement).
Plus tard il sera réhabilité par le Gaon de Vilna, et c'est pour ça qu'on l'utilise beaucoup dans le Olam Hayeshivot (surtout pour son Messilat Yésharim).

 

 

9. La Synode de Brody (1756)

 

Le 26 Sivan 1756 il y a en Ukraine dans la ville de Brody un rassemblement, une synode des Rabbanim de Pologne (contre les Sabbatéens et les Frankistes).

Ils décident entre autres de mettre en excommunication tout ceux qui étudieront les écrits du Arizal avant quarante ans et sans avoir au préalable étudié le Shass et les Poskim.

Quant au Zohar, au Pardes Rimonim de Rav Cordovero et au Shomer Emounim de Rav Yossef Irgas ils ne sont autorisés qu'à partir de trente ans et uniquement imprimés - ce qui permet d'éviter les ajouts.

 

 

10. Mitpa'hat Sfarim du Yaabets (1768)

 

En 1768, le Yaabets - Rabbi Yaacov Emden, fils du 'Hakham Tsvi - écrit le Mitpa'hat Sfarim en deux volumes.
Ce livre est ramené essentiellement en tant que livre contre le Zohar.

Tout le monde (ou presque) est d'accord pour dire que le Zohar n'a pas été fini à l'époque de Rabbi Shimon bar Yo'haï. En effet dans le Zohar-même on nous parle de la mort de Rashbi et on nous mentionne des Tanaïm et Amoraïm des générations plus tardifs (le Zohar précise même parfois bimei Rashbi, à l'époque de Rashbi !).
Mais ce n'est pas un gros problème, on peut encore dire que ce sont ses élèves qui ont continué à dire des enseignements dans le Zohar selon les idées de Rabbi Shimon bar Yo'haï.


► Mais le Yaabets veut prouver plus que ça, il veut mettre en évidence des ajouts extrêmement tardifs (plus de 1000 ans plus tard).

Dans le premier volume il ramène 281 hasagot (questions et remarques) sur le Zohar (ainsi que les Tikounim et le Zohar 'Hadash) qui prouvent une falsification et des ajouts (très) tardifs.

Par exemple le Zohar (III page 282a) fait une Drasha du mot Esnoga, synagogue en ladino (judéo-espagnol), Esh Noga un feu qui illumine. Et cette langue n'existait pas à l'époque de Rabbi Shimon Bar Yo'hai.


Il y a aussi pas mal d'expressions philosophiques ramenées dans le Zohar qui sont des notions typiques des Rabbanim du Moyen-Âge.

Le Yaabets ramène par exemple la notion des quatre yessodot, les quatre composants de la nature (Zohar I page 27a) : le feu (ce qui monte vers le haut), l'eau (ce qui est humide), la terre (ce qui est lourd) et le vent - aujourd'hui on sait que c'est faux mais que la matière est composée d'atomes etc.
Cette notion ne se retrouve qu'au Moyen-Âge et pas à l'époque de la Mishna.
Rav Mena'hem Casher ramène que la plus ancienne source à cela se trouve dans les écrits de Rav Saadia Gaon (10ème siècle), dans son Siddour sur les Hoshaanot du quatrième jour c'est écrit 'hayotser beolamo yessodot arba' - Qui a créé dans son monde avec les quatre éléments.
Néanmoins, Rav Wattenberg a trouvé une autre source à cela dans le Midrash Rabba (Bamidbar XIV, 12) où on nous parle de quatre natures, donc ça se disait même à l'époque talmudique et ce n'est pas une question sur le Zohar.
Et en réalité les non-juifs grecs en parlaient encore longtemps avant, le premier à en avoir parlé est Empédocle en -460 environ.

Un autre exemple de notion tardif est le titre de Gaon. Ça date de l'époque des Guéonim, les Rabbins du haut Moyen-Âge, Gaon fait référence à un prestige.
Or dans le Zohar on trouve l'expression de Guéonim au sujet de certains Rabbins (voir Zohar III Raya Meheimna 246b). Ces passages ne semblent donc pas dater de l'époque de Rabbi Shimon bar Yo'haï.

Une autre expression tardif typique du Moyen-Âge est Ilat Haïlot, la Cause des causes, en parlant de D.ieu. Et c'est ramené une dizaine de fois dans le Zohar (par exemple Zohar I page 22b).

Dans le Zohar I page 89a on nous parle du Lashon Targoum, le language du Targoum - le Targoum étant la traduction par Onkelos du 'Houmash. Et jusqu'au Moyen-Âge on appelait ça l'araméen, c'est seulement après qu'on a appelé ça Lashon Targoum.

On nous parle encore de Nefesh Habéhémite et Nefesh Hamitava, la partie "animale" qui est dans l'homme - soumise aux pulsions. Ce sont des termes purement médiévaux, mais il se trouve dans le Zohar (Sitré Torah I page 79b et Zohar I page 109b dans Midrash Hanéélam).

On a encore l'appellation de la fête Sim'hat Torah (Raya Meheimna, Zohar III page 256b), en dehors d'Israël on fête deux jours au lieu d'un pour Shmini Atseret. Et c'est seulement au Moyen-Âge qu'on a pris l'habitude d'appeler le deuxième jour Sim'hat Torah.

On a aussi des détails historiques gênants.
Le Yaabets ramène par exemple des allusions aux Croisades dans le Zohar (II page 32a). On nous parle aussi des enfants d'Ishmael qui se font circoncire (Zohar II page 32a), ce qui n'était pas le cas à l'époque de Rabbi Shimon bar Yo'haï.
À part ça, on nous parle de l'exil et de l'éparpillement des juifs dans le monde (Zohar III page 75b, 90, 270a). Et à l'époque de Rabbi Shimon ce n'était pas vraiment le cas.
Plus que ça, dans le Zohar III page 252a, on nous dit que les juifs sont éparpillés aux quatre coins du monde.

Le Yaabets ramène encore des contradictions entre le Zohar et la loi talmudique. Au premier tome page 14b le Zohar mentionne l'interdit gravissime d'allumer du feu à la sortie de Shabbat avant de s'être rendu quitte de la Havdala. Or dans le Talmud (Psa'him 103b) on voit que c'est totalement autorisé. (Ce n'est pas la fin du monde, il arrive fréquemment qu'un Midrash contredise la Halakha).

On a encore une opposition flagrante entre le Zohar II 115b et le Talmud Nedarim 13b.
Le 'Hida déjà - pourtant kabbaliste et partisan du Zohar - écrit dans ses annotations sur le Zohar que c'est très étonnant et que ce n'est pas une erreur de copiste comme l'indique le contexte.

On a encore des mentions de prières tardifs dans le Zohar, comme le Nishmat Kol 'Haï et la Kédousha du Moussaf, le Keter.

Au premier tome page 31b, le Zohar ramène un Targoum Yonathan ben Ouziel sur un verset de la Genèse. Or le Talmud Méguila 3a nous informe qu'il n'a écrit de traduction que sur les Néviim (Prophètes), mais pas sur le 'Houmash (Pentateuque). Cette erreur du Zohar est une erreur classique, certains expliquent qu'il s'agissait en réalité du Targoum Yéroushalmi (anonyme), et en acronyme (tav youd) certains ont compris par erreur qu'il s'agissait du Targoum Yonathan.

Au Tome III page 23a, on a un verset de Jérémie ramené à l'envers.

On a encore au volume I page 160b, le Zohar qui attribue un verset à Ezra alors qu'il a été dit par Né'hémia. D'ailleurs ce genre d'expression (zakhra li elokai létova) est exclusivement utilisé par Né'hémia (quatre fois). D'où vient cette erreur ? En fait, encore au 12ème siècle le livre de Né'hémia était inclus dans celui de Ezra. Donc l'auteur de ce passage ne maîtrisait pas très bien le Tanakh.

Il rajoute aussi que plusieurs notions sont empruntées au Rambam (à son Moré Névoukhim), au Kouzari et d'autres livres de philosophie de l'époque. Certains ont vu de là l'inverse, une preuve que le Rambam avait lu le Zohar. Voir le cours sur la Rambam

Souvent, le Yaabets ramène des contradictions entre l'avis du Zohar et l'avis de Rabbi Shimon (bar Yo'hai) dans le Shass.
De plus, dans le Talmud Erouvin 46b c'est écrit qu'on ne suit pas l'opinion de Rabbi Shimon bar Yo'haï en matière d'Halakha. Donc le Zohar resterait un simple Midrash.

Au deuxième volume il ramène des questions contre des livres de Kabbala, essentiellement contre le Emounat 'Hakhamim mais aussi contre le Guinat Egoz, le Brit Menou'ha, le Yosher Levav et contre le témoignage de Rabbi Its'hak de Akko (ramené plus haut).

 

Il donne sa conclusion au deuxième volume §9, 105 (il dit vouloir établir clairement sa pensée contrairement au Matsref La'hokhma cité plus haut) :
“D.ieu nous garde de soupçonner Rav Moshé de Léon d'avoir falsifié le Zohar, il s'est peut-être trompé en attribuant le Zohar à Rashbi, mais ce n'était pas lui le falsificateur.”

Il conclut que le Zohar est un véritable livre saint basé sur des enseignements de Rabbi Shimon Bar Yo'haï, seulement il a été mis à l'écrit qu'à l'époque de la fin des Amoraïm (vers l'an 500) et il y a encore d'autres ajouts tardifs qui se sont immiscés. (C'est aussi l'avis de son ami Rabbi Moshé 'Haguiz, dans son Mishnat 'Hakhamim §329,332,334)
Et concernant le Raya Meheimna et le Tikounei Zohar il dit qu'il est possible que ce soit Rabbi Moshé de Léon ou un contemporain qui les ai écrits.

Il ajoute que le Rabbi Shimon bar Yo'haï cité dans le Zohar n'est pas le Rabbi Shimon bar Yo'haï du Talmud ! C'est un 'hidoush atsoum, et personne n'est d'accord avec lui.

Le Likoutei Shout 'Hatam Sofer §59 écrira sur le livre de Yaabets : c'est une grande chose que le prophète a fait ici, quiconque voit ce livre est épaté de ses preuves.
Et il recommande à son élève la lecture du Mitpa'hat Sfarim.

Le Yaabets étant le grand Rabbin de la génération, et étant très connu (par ses polémiques etc.), il y a eu beaucoup de réactions à son livre.

 

 

11. Ben Yo'hai du Rav de Konits (1815)

 

En 1815 est imprimé à Vienne le (très long) livre Ben Yo'haï dans lequel Rav Moshé de Konits entreprend de contredire tous les arguments du Yaabets (dans son Mitpa'hat Sfarim).

Le problème c'est que la majeure partie de ses réponses sont hors-sujets, plusieurs fois il ne semble pas avoir compris convenablement la question du Yaabets.

Il y a donc énormément de livres qui ont été écrits contre lui, et beaucoup de Rabbanim lui ont reproché son livre - en particulier à cause de son langage irrespectueux envers le Yaabets qui était le Gadol Hador.

 

Par exemple : il écrit (vers le début) que chaque endroit dans la Gmara où il est marqué Rabbi Shimon c'est avant son passage à la grotte, et quand c'est marqué Rabbi Shimon bar Yo'haï c'est après - et il ramène pour preuve la Gmara Shabbat 33b (où est relaté le récit de Rabbi Shimon).
Il veut donc dire que la Gmara Erouvin nous indique seulement de ne pas suivre l'avis de Rashbi avant son passage par la grotte et son élévation mystique, mais il faudrait suivre le Zohar.

Le problème c'est que c'est faux, on voit dans le Zohar plusieurs fois Rabbi Shimon tout court et dans la Gmara aussi on voit les deux appellations avant et après la grotte (dans Moed Katan 9 Rabbi Yéhouda ben Guérim a étudié Nédarim chez Rabbi Shimon bar Yo'hai, or ce ben Guérim est mort à la sortie de la grotte).
On a encore Rashbi vieux qui est appelé Rabbi Shimon tout court, et Rashbi jeune appelé Rabbi Shimon bar Yo'haï !
D'ailleurs, le Tossafiste Rabbi Yéhouda bar Klonimous dans son Yi'houssei Tanaïm Véamoraïm (très volumineux), sous le nom 'Hanania (page 390) écrit exactement l'inverse du Rav de Konits : lorsque l'on est jeune on n'est pas encore connu, donc Rabbi Shimon était affilié à son père. Mais lorsqu'il est devenu très célèbre ça suffisait Rabbi Shimon.

Il est donc très étonnant de voir beaucoup d'A'haronim se réjouir devant la réponse du Ben Yo'hai alors qu'elle est fausse.
Le Rav Yerou'ham Leiner par exemple dans son Zohar Arakia. Ou encore Rabbi Méir Mazouz dans son Bait Neeman n°63.


Un autre exemple : un des arguments du Yaabets est la présence des nékoudot - signes de voyelle en hébreu - et des taamim - signes de cantillation - (leurs appellations et leurs formes) dans le Zohar (par exemple au Tome I page 24b et Tome III page 205b) alors qu'ils n'existaient pas en tant que telle à l'époque de Rashbi (il semble qu'ils soient apparu vers le 7ème siècle par les grammairiens de Tibériade). Et le Ben Yo'hai réfute en ramenant la mention des nékoudot dans la Gmara.
Seulement là-bas on parle de tout autre chose, des petits points qu'il y a sur certains mots dans le Sefer Torah (lanou oulvanenou etc.), l'amalgame est ridicule et il s'est tout de même permis de se moquer du Yaabets.

Rabbi Aharon Fuld de Francfort (un ami du 'Hatam Sofer) a commencé à réfuter les arguments du Ben Yo'haï, mais il s'est arrêté très vite (au deuxième Shaar, au tout début) parce la tâche était trop longue et que tout était réfutable.


Rav Shlomo Yehouda Rapaport, Shir, était un très grand Talmid 'Hakham et Rav de Prague.

C'était un personnage légèrement ambiguë, il était très proche du groupe des Maskilim donc certains le considèrent Maskil et d'autres comme un bon juif, certains le considèrent au milieu et d'autres ne le considèrent pas du tout.
Il était le gendre du Ktsot Ha'hoshen.
Il était aussi un peu historien et philosophe.
Il a écrit des biographies palpitantes et très documentées sur plusieurs Rabbins.

Il a lui aussi écrit un livre sur les graves erreurs du livre Ben Yo'hai (pour ne pas être trop long), c'est le Na'hlat Yehouda imprimé après sa mort en 1873.

Il y a ensuite eu Rav Reouven Rapaport dans ses remarques sur le livre Mishpa'hat Levov qui a ramené plusieurs remarques sur le Mitpa'hat Sfarim du Yaabets et sur le Ben Yo'hai du Rav Moshé Konits.

Rav Eliakim Amuzagui (Hamilzahgi) a écrit un livre pour défendre le Zohar - ce livre est encore à l'état de manuscrit dans la Sifria de Jérusalem. Il admet tout de même qu'il y a des ajouts tardifs. Il a écrit un autre livre Sefer Ravia imprimé en 1837, où il y a essentiellement des remarques sur l'historien Leopold Zunz et sur Shir, et au 19ème chapitre il parle un peu du Zohar.

 

 

12. Shadal (1852)

 

En 1852, on a Shadal - Shmouel David Luzzato (petit fils du Ram'hal), qui imprime le Vikoua'h Al 'Hokhmat Akabala (écrit en 1827) dans lequel il est clairement contre le Zohar.

C'était un personnage assez ambigu mais la majorité des Rabbins le considèrent comme Maskil. Il était d'ailleurs très proche de Shir (cité précédemment).

C'est présenté sous forme de dialogue entre un fervent du Zohar et de la Kabbale, et un savant polonais.

Il s'est beaucoup servi des écrits du Yaabets, a rajouté quelques détails et exemples.

C'était un grand linguiste qui a beaucoup travaillé sur l'hébreu biblique, et l'araméen. Il critique l'araméen du Zohar qui serait rempli d'erreurs de conjugaison et de terminaison.
Par exemple le Zohar écrit à trois reprises le mot ouzfoua, pour dire 'il l'a accompagné' (Zohar I page 96b). Seulement ce mot signifie 'il lui a prêté de l'argent'.
L'erreur vient du fait qu'en hébreu hilvahou peut signifier soit l'idée du prêt soit l'idée d'accompagner, et l'auteur du Zohar a dû s'embrouiller les pinceaux...


Ce livre a énervé beaucoup de monde, surtout parce que le Rav n'était pas très orthodoxe.

Neuf ans plus tard, en 1861 le Rav Eliahou Benamozegh publie le Taam Leshed (Leshed veut dire 'au démon', c'est un jeu de mot - ce sont aussi les initiales de Shmouel David) contre le Vikoua'h de Shadal et pour la Kabbala.

Un autre livre encore contre Shadal est le Anei Ksil ('répond à l'imbécile'), écrit par le Rav Yédidia Nissim à Livourne en 1856.
Il s'est trompé sur pas mal de points. Par exemple en page 14, il ramène les critiques de Shadal sur la notion de guilgoulim (réincarnations), et il s'étonne car les Rabbins en parlent depuis toujours - ce qui est faux, ça a été discuté et c'est loin d'être admis parmi tous les Rabbins.

Il y a encore le Aderet Eliaou en 1885 du Rabbi Shlomo Nissim, imprimé à Vilna.
À part le patronyme il a aussi comme point commun avec le Anei Ksil, beaucoup d'erreurs.

Il y a encore le Na'hala Léisraël écrit par le Rav Israel Moshé 'Hazan en 1862 en Égypte.
Le Eshtaldout im Shadal de Rav Bakhrakh en 1896. Et encore beaucoup d'autres.

 

 

13. Maguen Vetsina du Rav Eizik 'Haver (1856)

 

En 1856 (date d'impression), le Rav Its'hak Eizik 'Haver, un élève de l'élève du Gaon de Vilna - Rabbi Israel de Shklov, écrit le Maguen Vetsina en trente chapitres pour contredire le Ari Nohem (qui venait d'être réimprimé) de Rav Yehouda Arié de Modène dans lequel il s'attaquait à la Kabbala et au Zohar.
Il y amène beaucoup de nouveaux arguments.

Entre autres il explique que la notion de Kabbala n'est pas accessible à n'importe qui : on peut être un grand Rav et Tsadik, si son Shoresh Neshama ('la source de son âme') n'est pas adapté il ne comprendra pas la Kabbale (ce n'est pas une science uniquement intellectuelle).
Et il ajoute que même certains Amoraïm (Rabbanim de l'époque de la Gmara) n'ont pas eu le mérite de comprendre les profondeurs des secrets de la Torah !
Cet argument a été repris plus tard, bien qu'aller jusqu'à dire que les Mekoubalim tardifs aient atteint des niveaux supérieurs à des Amoraïm soit très osé.
Rabbi Tsadok Hacohen de Lublin (un Rav du clan des Lituanien Mitnagdim et qui a fini par se rallier aux 'Hassidim, en particulier aux Breslev) dans son Sefer Hazikhronot (page 18) écrit aussi la même chose.

Rav Wattenberg a entendu un reproche contre le Rabbi de Loubavitch,
il aurait écrit dans une lettre que le Baal Hatania était supérieur même à certains Amoraïm - apparemment cette idée-là a déjà été mentionnée avant lui.


Le Maguen Vetsina dit aussi que le Zohar contient les enseignements de Rabbi Shimon bar Yo'haï, et les Rabbanim plus tardifs dans le Zohar sont des ajouts (ça fait beaucoup d'ajouts tardifs). Il explique que ces enseignements étaient transmis à l'oral puis mis à l'écrit à l'époque des Amoraïm (comme l'écrivait le Yaabets).
En effet comme toute Torah orale il y a un interdit de les mettre par écrit, de même que la Mishna (puis la Gmara) qu'on a permis d'écrire seulement tardivement de peur que ça se perde.
Par contre il admet que l'ordre du Zohar (par Parashiot) date de l'époque des Guéonim - une période qui s'étend de l'an 500 à 1000.
Cette idée se retrouve aussi dans le Shomer Emounim Hakadmon de Rav Yossef Irgas (préface du deuxième dialogue).

Aussi, bien qu'il soit partisan du Zohar et de la Kabbala, il s'oppose fortement à la diffusion du Zohar et des écrits du Arizal (du Rav 'Haïm Vital) aux personnes non-initiées.

Petite remarque : il arrive parfois qu'il mélange Zohar et Kabbala, par exemple il s'oppose à des Rabbanim en défendant la Kabbala alors que ceux-ci ont seulement critiqué le Zohar. Et la notion de Kabbala est indiscutée.

 

 

14. Rabbi David Louria, le Radal (1857)

 

En 1857 est imprimé le livre Kadmout sefer HaZohar de Rav David Louria (le Radal).

C'était un Talmid 'Hakham incroyable, il connaissait tout et pensait à tout.
Il était d'une culture phénoménale, parlait plusieurs langues.
Des témoins l'ont vu réciter à dix ans neuf traités de Talmud dans l'ordre (mais pas mot à mot) et le Shass Mishna mot à mot.
On a quelques Massekhtot avec ses annotations. Il a aussi écrit une préface et un commentaire sur le Pirkei Dérabbi Eliezer qui sont très intéressants.


Dans son livre il se démène pour prouver que Rabbi Moshé de Léon n'a pas pu écrire le Zohar.

En effet il y a des contradictions entre le Zohar et les autres livres du Rabbi de Léon.

Aussi, il arrive plusieurs fois que dans ses livres qu'il ramène le Zohar et l'explique - mais qu'il le comprend mal ! C'est plus profond que ce qu'il pensait.

Rav Mena'hem Casher ajoute encore une preuve : parfois le Rav de Léon a du mal avec certaines questions et y répond difficilement, alors que le Zohar on a une réponse claire et simple.


Un autre argument est que des livres écrits avant Rabbi Moshé de Léon contiennent des passages du Zohar. (On peut encore réfuter que le Rav de Léon a fait exprès d'intégrer ses passages à son livre pour augmenter sa crédibilité.)

Entre autres on retrouve dans le Zohar des passages de Rabeinou Bé'hayé al Hatorah et tout un morceau de son Shoul'han shel Arba dans le Zohar Ekev page 274a, ou encore des passages du Mashal Hakadmoni de Rav Its'hak Sahoula, du Otsar Hakavod de Rabeinou Todros Aboulafia, ou du Livnat Hasapir etc.

Le responsa Yad 'Hanokh ('Helek Mefanea'h Neelamim §5) ramène des preuves que Rashi (donc bien avant Rabbi Moshé de Léon) a vu le Zohar.
Mais certaines preuves le sont plus pour le Tikounei Zohar.

Par exemple il ramène Rashi sur Baba Kama 117a qui écrit que lorsque l'on faute on perd une partie de sa Néshama, et cette notion se retrouve dans le Tikounei Zohar. Ce n'est pas une preuve irréfutable, on peut toujours dire qu'un falsificateur a intégré ce Rashi dans le Tikouné Zohar. Aussi cette preuve ne concernera pas le Zohar lui-même.

Il ramène encore que Tosfot a vu le Zohar. Par exemple dans Sanhedrin 11a on nous parle de Bat Kol, 'fille de la voix' sorte de voix céleste, et Tosfot ramène que certains expliquent qu'il s'agit d'une voix qui sort d'une autre voix - un écho. Et le Yad 'Hanokh a entendu dire que ça faisait allusion au Zohar (Noa'h 74a). Mais il semble que ce ne soit pas une preuve : Tosfot aurait pu y penser seul, mais surtout c'est déjà ramené dans le Midrash Raba (Shemot Raba fin de §29) (et il semble aussi dans Tsouvot Haguéonim). Le Yad Rama un commentaire sur Sanhedrin de Rabbi Aboulafia (daf 11) ramène ça au nom du Yeroushalmi. En effet, beaucoup de Rishonim appelait Yeroushalmi tous les textes extérieurs au Shass Bavli.

 

Les historiens laïcs

 

Vers la fin du 19ème siècle, les historiens juifs se sont aussi intéressés au Zohar.

Beaucoup ont considéré qu'il était entièrement falsifié par Rabbi Moshé de Léon.

Entre autres Leopold Zunz, Moritz Steinschneider et Guershon Sholem (mais il a changé d'avis plusieurs fois).

Heinrich Graetz dans son Histoire des Juifs (Volume IV à partir de la page 233) critique beaucoup le Zohar et le Rav Moshé de Léon.


En tout cas il semble clair que c'est faux, même les historiens de nos jours reconnaissent que le Rav de Léon n'a pas pu falsifier tout le Zohar, comme on le voit des nombreuses preuves du Radal (cité plus haut).

Edmong Fleg écrit ainsi dans Anthologie juive page 407 qu'il est certain que Rabbi Moshé de Léon n'a pas pu écrire le Zohar de lui-même.

 

 

15. Rav Yerou'ham Leiner (1951)

 

En 1951, le Rav Yerou'ham Leiner (un très grand Talmid 'Hakham aussi) écrit le Zohar Arakia.
Il essaye de répondre à toutes les grandes questions qui ont été posées sur le Zohar.

Par exemple (une question qui été déjà posée par le Be'hinat Hadat page 43) il explique au douzième chapitre l'absence totale de mention du texte ou du nom du Zohar dans la Gmara par le fait que la Kabbala devait restée une science cachée.
C'est pour cela que les Sages ont fait attention de ne pas mentionner le Zohar dans le Talmud.

Aussi plusieurs avaient argumenté qu'on retrouve dans le Zohar des textes de prière tardifs comme le Kol Nidré ou le Nishmat, il y répond dans le cinquième chapitre. Il prouve du Talmud Psa'him 117b que la prière du Nishmat date de l'époque du Talmud.

À la question des nékoudot et taamim mentionnées dans le Zohar alors qu'ils n'existaient pas en tant que telle à l'époque de la Gmara, il y répond au sixième chapitre. Seulement bizarrement (pour les nékoudot) il répond comme le Ben Yo'haï et commet la même erreur, c'est assez étonnant ...

Dans le troisième chapitre, il parle de l'araméen du Zohar qui diffère de celui du Talmud.
Il rajoute quelques preuves pour le Zohar.


À la fin de son livre il dit que le Yaabets ne pensait pas le mal qu'il a dit du Zohar (qu'il y a plusieurs ajouts etc.).
Il veut dire que le Yaabets voulait seulement calmer les adeptes de Shabtaï Tsvi qui se basaient exclusivement sur le Zohar.
Il ramène notamment comme preuve que le Yaabets écrit dans le Mitpa'hat Sfarim que le Rambam n'est pas l'auteur du Guide des Égarés, ce qui est absurde.
Le problème c'est que le Yaabets a écrit dans plusieurs autres livres aussi que le Moré Névou'him n'était pas du Rambam (Migdal Oz aliat hatéva et dans son Le'hem Shamayim sur Avot page 20b et 30a).
(Voir encore : sur techouvot)

À part ça le Yaabets était du genre incisif, il n'était pas du genre à avoir peur de dire ce qu'il pense. D'ailleurs lui-même reproche à Yashar dans son Mitpa'hat Sfarim de ne pas avoir dit clairement sa pensée !

Il ramène encore du Sefer Harimon et du Mishkan Haedout de Rav Moshé de Léon (il semble qu'ils n'ont pas été imprimés) des questions et des réponses sur des notions de Kabbala, sauf que dans le Zohar la réponse donnée est différente.

Le Rav Mena'hem Kasher (décédé en 1983) a aussi écrit un livre sur le Zohar, et il consacre un chapitre entier à ce genre de preuves - des différences et contradictions entre Rav Moshé de Léon et le Zohar.

Il ramène encore que l'araméen de Rav Moshé de Léon est bien plus pauvre et moins antique que celui du Zohar.



 

 

PATERNITÉ DU ZOHAR

 

 

1. Preuves de falsification ou d'ajouts

 

a. Les Bnei Haélokim

 

Un problème sur l'authenticité du Zohar est relevé par le Torah Tmima (Bereshit VI, 2).

Dans la Torah il est ramené que les 'Bnei Haélokim' ('les enfants de D.ieu ou des juges') se sont mariés avec des femmes etc.

Rashi ramène les deux possibilités : c'étaient soit des enfants de juges soit des anges.

Mais le Zohar donne seulement la deuxième explication : c'étaient des anges.

Le problème c'est que dans le Midrash sur ce verset, Rabbi Shimon bar Yo'haï ramène que ce sont des enfants de juges. Plus que ça, il maudit tous ceux qui interpréteraient ce verset comme parlant d'anges !

Il est donc impossible que Rashbi soit l'auteur de ce passage du Zohar.


Une autre preuve claire que le Zohar n'est pas entièrement de Rashbi, est qu'il y a plusieurs contradictions dans le Zohar.

On voit ça par exemple dans le Guilion Ashas du Rabbi Akiva Eiger dans Shabbat 55b.

 

b. La Gmara Kidoushin

 

Le Zohar (II Mishpatim page 121a) ramène la Gmara Kidoushin 3a mot à mot (et en parlant de 'Massekhet Kidoushin').

Le problème c'est qu'à l'époque de Rabbi Shimon bar Yo'haï, cette Gmara n'était pas mise à l'écrit et cet enseignement n'a aucun rapport avec les Kidoushin.

Il semble donc que le Zohar a été écrit bien plus tard, vers la fin des Amoraïm.

Plus encore, on sait que ce passage de la Gmara ramené dans le Zohar est un ajout tardif des Savoraïm (après les Amoraïm avant les Guéonim, vers le 6ème siècle) comme il est marqué dans les Tshouvot de Rav Shrira Gaon.

Il s'agit donc encore d'un ajout tardif.

 

c. Ce n'est pas un gros problème

 

Tous ces ajouts ne sont pas très problématiques, c'est-à-dire qu'ils ne remettent pas entièrement en cause l'authenticité du Zohar et son affiliation avec Rabbi Shimon bar Yo'haï.

Pourquoi ?

Parce que même dans la Gmara (qui était beaucoup plus popularisé que le Zohar) on trouve des ajouts et dans encore bien d'autres livres rabbiniques.


Dans le Birkat Ha'hodesh on souhaite d'avoir un bon mois etc. Et on conclut (noussa'h ashkénaze) Bizkhout Tfilat Rav, par le mérite de la prière en public.

Certains ont changé la version en Tfilat Rabim (prière en Minyan).

Mais ce n'est pas très compréhensible pourquoi on parle de ça à ce moment-là...

Rav Baroukh Epstein a proposé de dire que c'était une erreur et que ces mots n'existaient pas dans la version d'origine.
Seulement un copiste avait écrit dans la marge 'Brakhot Tfilat Rav ' - car cette prière est ramenée dans la Gmara Brakhot (16b) par l'Amora Rav .
Et ça a fini par se transformer en 'Bizkhout Tfilat Rav' !

(C'est ramené dans le Hamaguid de l'année 1889 - un fascicule où des Rabbanim publiaient des 'Hidoushim).

 

 

2. Preuves d'Authenticité

 

a. Pas de volonté de falsification

 

Le Zohar innove plusieurs notions qui frôlent l'ambigüité.

Par exemple l'idée de s'adresser aux dix Sfirot plutôt qu'à D.ieu tout simplement.
Des chrétiens ont utilisé cette idée des Sfirot pour justifier une division de la Divinité (h"v) !

C'est d'ailleurs l'une des raisons de l'interdit rabbinique d'étudier la Kabbala avant un certain niveau : le risque de dérapage est trop grand.

Pourquoi un falsificateur aurait inventé tout ça, ce sont des complications pour rien s'il veut faire accepter son livre plus facilement !

 

On a aussi ramené plus haut le jeu de mots en Espagnol.

Le falsificateur ne se doutait pas qu'il allait se faire repérer ?! (Rashbi ne pouvait pas parler ladino)

Cela semble montrer qu'il n'y a pas eu de volonté de falsification.

 

b. Terre ronde, et dérive des continents

 

On voit encore dans le Zohar des passages qu'il est difficile d'attribuer à Rabbi Moshé de Léon de par son .. ancienneté.


Par exemple le Zohar (I page 15a) nous dit que le monde a été créé à partir d'un petit point minuscule qui contenait toute l'énergie de l'univers (!).

En 1280 personne n'imaginait encore cela. Par contre si c'est un enseignement kabbalistique qui a été transmis, ça passe.
Il est vrai que cette idée se retrouve dans le Ramban (Bereshit I, 1), mais vraisemblablement sa source est du Zohar.


Au 'Helek III (Vayikra page 10a), le Zohar nous décrit le monde comme un gros ballon : lorsqu’il fait jour d’un côté c’est la nuit de l’autre, les habitants de l’autre côté (aux antipodes) ont –par rapport à nous- les pieds en haut et la tête en bas.
On retrouve encore cette idée dans le Zohar 'Hadash Bereshit 15a.

À l'époque de Rabbi Moshé de Léon, ce n'était pas du tout d'actualité !

Mais ce n'est pas une véritable preuve : la forme de la Terre ressort déjà du Talmud (Baba Batra 25b), et est explicite dans le Midrash Raba (Nasso §13, 14) ainsi que dans le Shass Yéroushalmi (Avoda Zara §3, 1 page 18b).
Ainsi, beaucoup de Rishonim - certainement inspirés par cette Gmara - pensaient déjà le monde rond.
Le Rambam par exemple dans sa Hakdama de Zraïm (page 84 dans l'édition de poche) et le Rashbats dans Maguen Avot (§5, 6).

Et en fait même chez les non-juifs, on pouvait trouver l'idée d'une terre ronde, parfois au sein même de l'église !
On a une lettre de Agobard, archevêque de Lyon, à Nimfridius (Nebridius), archevêque de Narbonne, au IXe siècle où en passant il écrit 'à la surface du globe terrestre'! Et ça n'a choqué personne.
On a même des sources à ça dans Aristote (Traité du Ciel II, §14).


Copernic et Galilée ont respectivement enseigné dans l'université de Padoue où se trouvaient énormément de Sages juifs.
Et pour une partie des étudiants il y avait un cycle d'étude où ils devaient étudier en cinq ans tout le Tanakh et le Talmud.
Il est donc possible qu'ils aient lu l'idée d'une terre ronde dans la Gmara ou encore qu'ils en aient parlé avec des Rabbanim présents à l'université comme le Yashar Mikandia, Rav Yossef Shlomo Rofé Delmedigo.


On a encore dans le Zohar 'Hadash page 16a l'idée de sept continents qui au départ étaient tous reliés (!).
Qui parlait de ça, même au 20ème siècle !

 

 

3. Conclusions

 

Le Rav Lipman Naizatts dans Mei Ménou'hot page 43b (un élève du 'Hatam Sofer) dit au nom de son maître que si on pouvait retirer du Zohar (et des Midrashei Rashbi) tout ce qui n'était pas de Rashbi, il ne resterait pas grand-chose du tout.
Rabbi Avraham ben Hagra, dit la même chose dans Rav Péalim page 29a, qu'il y a beaucoup d'ajouts dans le Zohar.
Rav Yossef Irgas aussi, dans la Akdama Shnia du Shomer Emounim.
Le Rav Yaacov 'Haim Sofer dans Ménou'hat Shalom 'Helek 12 à la fin du Siman 48 page 164, cite treize endroits qui sont à coup sûr des ajouts tardifs.

C'est aussi l'avis de plusieurs Rabbis 'hassidiques.

Le Rav Tsvi Hirsh de Ziditshov dans Atéret Tsvi page 88a.
Le Rabbi de Komarna dans Zohar 'Hai page 40a.
Le Rav Tsvi Elimelekh dans ses annotations sur le Zohar plusieurs fois.
Il est cité par Rav Yeoshoua Mondshine - un Rabbin loubavitch décédé en 2014, dans Or Israel 'Helek 43 page 199.

Il y a aussi une lettre de Rav Moshé 'Haguiz, ramené dans le Torat Haknaot du Yaabets (§14 page 224), où il dit sur ceux qui prétendent que le Zohar provient mot à mot de Rabbi Shimon bar Yo'hai, que ce sont des mensonges répandus.

Le Rav Halpern dans son Seder Hadorot (I page 183b) dit que ce sont les élèves des élèves du Rashbi qui ont dû écrire le Zohar et que c'est précisément pour ça que le Zohar est si important.

Pourquoi ?

Car on considère toujours les Batraei, les derniers Rabbins car ils peuvent prendre en compte tout ce qui a déjà été dit.
Rashbi n'ayant pas pu voir toutes les Mishnayot, ça aurait donc eu moins de valeur.


La conclusion du Rav Wattenberg est donc celle du Yaabets, du 'Hatam Sofer et de tant d’autres Gdolei Israel : le Zohar Hakadosh est un recueil d’enseignements qui trouvent leur source chez Rashbi et sa Yeshiva et qui inclut d’autres enseignements plus tardifs qui se sont greffés au corps du Zohar au fil des siècles.


Ce qui est étonnant, dérangeant et choquant c'est que Rabbi 'Haim Vital écrit clairement que Rashbi est l'auteur du Zohar à la lettre près (Hakdama du Shaar Hahakdamot page 3a) !
Le Baal Hatania aussi selon une lettre qu'on lui attribue.
Le Rabbi Na'houm de Tchernobyl aussi (c'est le Rav Mondshine qui les ramène).

Comment expliquent-ils par exemple les noms tardifs ?
Ils disent que Rabbi Shimon bar Yo'hai avait un niveau de Roua'h Hakodesh qui s'élevait au-dessus du temps, il côtoyait donc même les futurs Sages (!)
C'est une idée vraiment bizarre ...
Voir encore sur techouvot la possibilité que ce passage du Rabbi 'Haim Vital soit falsifié.

Le Rabbi Na'ham de Breslev dans Si'hot Haran (§278) explique quant à lui que Rashbi a continué à enseigner à des élèves .. même après son propre décès.

Peut-être faut-il le comprendre avec beaucoup de recul, pas que Rashbi soit réellement soit sorti de sa tombe, mais qu'un autre Rabbin ait su faire revivre les enseignements de Rashbi (le Rashbi de la génération !).

 

 

4. La vision actuelle du judaïsme orthodoxe

 

Aujourd'hui dans le judaïsme orthodoxe, au moins 90% des Rabbanim considèrent que le Zohar provient entièrement du Rashbi.

Comment est-ce possible ?

On a pourtant cité plein de Rabbins -très orthodoxes- qui s'étaient opposés à cette idée, preuves indiscutables à l'appui.

Le Yaabets ramène même le Arizal, maître incontestable et incontesté de la Kabbale, qui a aussi admis les ajouts tardifs dans le Zohar !


Rav Wattenberg pense que c'est lié au mouvement de la Haskala.

En effet, tous les meneurs de ce mouvement - dans un but d'assainir le judaïsme et de faire sortir les juifs du ghetto - ont trouvé impératif d'éliminer toutes les vieilles coutumes, puisqu'elles confèrent au judaïsme une touche de mystique et de bizarrerie.

Certains ont pensé pouvoir tout concilier, par exemple Shir (cité plus haut) qui était tout ce qu'il y a de plus orthodoxe.
Mais d'autres, tel que Shadal, préféraient moderniser le judaïsme.
Certains sont même allé jusqu'à interdire le 'Heder, l'école religieuse !

La guerre s'est donc déclarée entre le mouvement orthodoxe et le mouvement des maskilim.
Les grands représentants du mouvement orthodoxes étaient Rav Moshé Sofer (le 'Hatam Sofer), Rabbi Akiva Eiger, le Maharam Shik etc.


Suite à cette "guerre", il y a eu une réelle séparation en deux groupes distincts.

Aussi, puisque l'un des travaux effectués par les maskilim était une recherche historique sur le Zohar et les autres textes de Kabbala, alors automatiquement dans l'autre camp la réaction a été de ne pas parler de ces sujets. Et ce, pendant près d'un siècle.
Le Zohar n'était de toute façon pas donné à la lecture à l'inculte.

Et à la longue ça a fini par un peu s'oublier chez la plupart des Rabbins orthodoxes, l'avis général n'est plus au courant que le Zohar n'est pas à 100% de Rabbi Shimon bar Yo'haï.

Et ça a eu une certaine incidence sur le mouvement orthodoxe moderne qui tend de plus en plus vers le 'hassidisme (qui est beaucoup plus mystique) : notamment dans l'habillement, dans la pensée et dans la façon d'accomplir les Mitsvot.

 

 

ÉTUDE DE LA KABBALA

 

1. Des Notions perdues

 

Il faut savoir qu'on trouve certains auteurs, Rishonim et A'haronim, selon lesquels la Kabbala n'existe plus.
Notamment Maïmonide, le Rambam - dans la Hakdama de son Moré Névoukhim et au Tome I, §71 - qui écrit que les secrets de la Torah ont été perdus.
En effet, la Mishna dans 'Haguiga nous dit que la Kabbala ne s'enseigne pas en public, et seulement à des élèves particuliers ayant un niveau exceptionnel etc. Ça a donc fini par se perdre.

Le Rama écrit quelque chose qui y ressemble, dans Torat Haola III §4. Il dit qu'il n'a jamais vu dans sa génération quelqu'un qui maîtrisait réellement la Kabbale.
Il critique ceux qui s'empressent d'aller étudier le Zohar, alors que c'est un livre très obscur et qui prête à plein d'interprétations différentes.
Le 'Hakham Tsvi aussi dans son responsa §36, écrit que le Zohar est très difficile à comprendre.

Le Reem, dans son responsa §1, dit que la Kabbala s'est perdu, et que les mékoubalim de ses jours ne font pas de la véritable Kabbale.

Rabbi Yossef Messas (Rabbin du 20ème siècle), dans son responsa Mayim 'Haïm I §67 écrit : De nos jours la sagesse de la Kabbala a disparu des villes du Maghreb, et à sa place une nouvelle Kabbala est apparue parmi ceux dont l'imagination est fertile.

 

Bien évidemment, les Kabbalistes ne seront pas d'accord avec ça, certains disent avoir reçu un enseignement d'un maître en Kabbala qui a reçu d'un maître etc.

 

2. Kabbala pour tous ?

 

Mais même d'après ces Kabbalistes, il ne convient pas d'enseigner la Kabbala publiquement comme on l'a vu dans 'Haguiga.

Le Rama écrit ainsi dans son Torat Haola (III §4) que ceux qui l'enseignent au public auront des comptes à rendre.
Le Maharsha ('Haguiga 13a et Kidoushin 71) écrit qu'il convient de dissimuler la Kabbala et de protester contre ceux qui l'enseignent publiquement.
Le 'Hatam Sofer (responsa Ora'h 'Haïm §197) témoigne que ses maîtres - le Baal Haaflaa et Rav Nathan Adler (qui était un grand kabbaliste) - n'ont jamais mentionné le Zohar lors de leurs Drashot.
Le Noda Biyehouda (Mahadoura Kama I Yoré Déa §74) s'énerve terriblement sur les personnes qui s'occupent d'étude du Zohar et de Kabbale en public. Il dit qu'à cause d'eux la Torah s'oublie d'Israël.
Il ajoute qu'à son époque où il y a encore beaucoup d'élèves de Shabtaï Tsvi, il aurait été convenable d'interdire complètement l'étude du Zohar aux non-initiés.
En 1800 sort le Kountras Ahavat David de Rav Elazar Fleckels (l'élève du Noda Biyehouda et l'auteur du Tshouva Meahava) contre l'étude du Zohar pour tout le monde.
Rabbi Eliaou Mizra'hi, le Reem dans son responsa (§1) écrit que ceux qui étudient la Kabbala (à part les grands Rabbanim) ne font qu'abîmer le prestige de la Torah.


Le Arizal lui-même ne voulait pas qu'on étudie ses Sfarim !

Le Rav Vital avait récupéré les cahiers de tous les élèves du Arizal (à sa mort) afin de synthétiser l'enseignement etc. Puis il les a enterrés.
Seulement, une partie des livres ont été déterrés alors que le Rav Vital était vieux et malade.
En une nuit ils ont copié plusieurs centaines de pages. Les A'haronim soulignent qu'y a donc beaucoup d'erreurs de copiste dans les écrits du Arizal.
En effet, on y trouve beaucoup de contradictions etc. Et c'est encore une raison pour ne pas apprendre la Kabbala tout seul sans maître.

À part ça, le Arizal a interdit d'étudier les livres de Kabbala qui datent d'après l'époque du Ramban. Car ils n'ont été écrits que d'après leurs réflexions logiques tandis qu'avant c'était de la Kabbala plus pure.
C'est ramené dans la préface du Ets 'Haim de Rabbi 'Haim Vital, son élève.

Le Gaon de Vilna (ainsi que son élève le Rav 'Haïm de Volozhin) pensaient que même dans les écrits de Arizal, seul peu de choses proviennent réellement de Eliaou Hanavi.
Mais d'autres Rabbanim se sont opposés à lui, comme le Baal Hatania (voir Beth Rabbi page 21b, Igrot Hatania §56 page 97) selon qui tout ce qu'a dit le Arizal lui a été dévoilé par Eliaou Hanavi, des anges ou des prophètes.


Le Rabbi Yaïr 'Haim Bakhrakh était un Gaon atsoum qui avait d'un part une connaissance approfondie de toute la Torah, mais en plus un cerveau encyclopédique.

Au Siman §192 de son 'Havot Yaïr par exemple, il fait une liste de toutes les Halakhot

Lémoshé Misinai dans la Gmara, dans le Yeroushalmi et les Midrashim!

Malgré tout il écrit dans son Shout 'Havot Yair (§210) que 'nous autres' qui n'avons qu'une connaissance réduite de la Torah ne pouvons pas s'aventurer dans la Kabbala.

Et même si on en avait l'obligation, en vertu du principe Ones Ra'hamana Patrei - en cas de force majeur D.ieu pardonne, on en serait dispensé.

 

 

3. Plusieurs conditions

 

Même ceux qui sont pour l'étude de la Kabbala, c'est uniquement après plusieurs conditions.


Les Rabbanim recommandent de se parfaire (letaken atsmo) avant de commencer cette étude. Cela en étudiant la Torah dévoilée (le Talmud) et en perfectionnant ses Midot (traits de caractère).


Le Ramak, Rabbi Moshé Cordovero un des plus grands mékoubalim, écrit dans Or Haneerav (II §1 et §5) et c'est ramené dans d'autres livres qu'avant d'étudier la Kabbala il faut d'abord être habitué au Pilpoul de la Gmara (les subtilités de raisonnement).
Car sans ça, on n'a aucune chance de comprendre et de relever ce qui est une allégorie et ce qui est réel.

Le Rama - Rabbi Moshé Isserles dit (Yoré Déa §245, 2) que celui qui n'a pas "rempli son ventre" (malei kresso) de Shass et Poskim n'a pas à étudier la Kabbala.
La source est la Gmara dans 'Haguiga 13.
Il dit encore dans son responsa (§7) qu'il convient de fuir l'étude de la Kabbala plus que l'étude de la philosophie (qui était alors vu comme un grand danger pour la spiritualité des juifs).
Surtout si l'on ne l'apprend pas d'un véritable maître.

Rabbi Yossef Irgas (kabbaliste lui aussi) en 1730 écrit (Hakdama Shnia du Shomer Emounim Hakadmon) que quiconque voudra pénétrer dans cette sagesse sans avoir au préalable accéder au niveau de Tshouva et Maasim Tovim - ne comprendra jamais convenablement la Kabbala.
Dans son responsa aussi il écrit quelque chose qui ressemble (Divrei Yossef §25).
Dans son Shomer Emounim il écrit aussi (Vikoua'h Sheni §35) que tout celui qui désire comprendre la notion de Tsimtsoum en la prenant à la lettre, tombe automatiquement à l'encontre des principes de foi du judaïsme - il devient Apikoros (on reviendra sur ce point).
Il rajoute qu'il ne faut pas essayer de comprendre les écrits du Arizal (écrits par Rabbi 'Haïm Vital) textuellement. Car le Arizal avait l'habitude de parler en allusions, et avec des phrases obscures. Et pas tout le monde peut le comprendre (Tokha'hat mégoula page 9).

Le Maharsha (Mahadoura Batra Shabbat 119b) écrit que depuis peu s'est développé un fléau : même les personnes incapables de comprendre un sujet de Gmara convenablement se lancent dans l'étude de la Kabbala et la comprenne de travers.
Il dit que ça ne l'étonnerait pas que c'est la raison pour laquelle ce long exil continue aussi durement (!) (à son époque il y avait les pogroms dans les pays d'Europe de l'Est).

Le Gaon de Vilna dans Yoré Déa §245 et sur Mishlei (XI, 17) mentionne aussi qu'avant d'étudier la Kabbale il faut connaître parfaitement toutes les Halakhot.

C'est aussi ce qui ressort de différents Midrashim.
Et c'est même logique, qu'avant d'arriver à la Torah cachée il faut connaître la Torah dévoilée.

Le 'Hayé Adam, un livre de halakha très utilisé à l'époque chez les ashkénazim écrit (Klal 10 §12) qu'il faut aussi avoir une grand Yirat Shamayim, une grande crainte du ciel, et réfléchir perpétuellement à la Torah.
Il ajoute que Rabbi 'Haim Vital était très ma'hmir (pointilleux) à ce sujet, que ses élèves soient parfaits sur tous ces points.

Le Shakh (Siftei Cohen - un commentaire sur le Shoul'han Aroukh) sur Yoré Déa §240, 6 rajoute aussi la condition d'avoir quarante ans.
On avait déjà cité le 'Herem à Brody en 1756 qui demandait aussi quarante ans pour pouvoir étudier la Kabbala.

Cette condition est ramenée dans la Gmara.
Dans 'Haguiga 13a, on nous raconte que Rabbi Yo'hanan avait pour élève le grand Rabbi Elazar et qu'il voulait lui enseigner la Kabbala (Maasei Merkava). Mais celui-ci a refusé en prétextant qu'il était trop jeune.
Rabeinou 'Hananel explique qu'il faut avoir cinquante ans.
Des années après Rabbi Yo'hanan meurt, et est remplacé par Rav Assi. Celui-ci aussi veut enseigner la Kabbala à Rabbi Elazar, mais il refuse encore : s'il était au niveau de pouvoir étudier la Kabbala il aurait mérité de la recevoir de la bouche de Rabbi Yo'hanan.
On voit de là que les Sages du Talmud ne s'empressaient pas d'aller étudier la Kabbala.

Le Ben Ish 'Haï écrit (Rav Péalim III sod yésharim §13) que lorsqu'il avait vingt-cinq ans - il était déjà très talmudiste - il a voulu commencer à apprendre les Kavanot dans la prière et dans les bénédictions.
Et Rav Eliaou Mani (un grand kabbaliste de l'époque) lui a dit d'attendre encore un peu.


Cependant le Sefer Habrit de Rabbi Pin'has Eliaou de Vilna (Maamar 4 Perek 14) écrit qu'aujourd'hui rares sont ceux qui connaissent parfaitement la Torah (dévoilée) à l'âge de 40 ans.
Par conséquent si on se sent prêt on peut commencer la Kabbala avant.
Et il ramène pour preuve plusieurs Mékoubalim qui sont morts jeunes : le Arizal est mort selon certains à 38 ans selon d'autres à 40 ans, le Rabbi Na'hman de Breslev vers 38 ans, le Ram'hal aussi à 38 ans, le Baal Shem Tov et encore d'autres.

 

 

4. Les dangers de la Kabbala

 

Pour les dangers spécifiques à l'utilisation de la Kabbala Maasit, rendez-vous plutôt sur cet autre cours de Rav Wattenberg

Ici on parlera des dangers dans l'étude de la Kabbala "théorique"

 

a. La notion de Tsimtsoum

 

On a déjà ramené plus haut l'opinion du Rabbi Yossef Irgas à propos du Tsimtsoum (la "contraction" de D.ieu) mentionnée dans les écrits du Arizal, qu'il ne faut pas comprendre cette notion au pied de la lettre sous peine d'aller à l'encontre des principes de foi du judaïsme et de devenir Apikoros.

Il écrit au sujet d'un certain Né'hémia 'Hiya Hayoune - un faux kabbaliste décédé en 1730 dans la suite de Shabtaï Tsvi - qu'il s'est trompé en lisant les écrits du Arizal à propos du Tsimtsoum (page 44a).

En réalité ce point précis du Tsimtsoum est une grande Ma'hloket.


Certains Gdolim ont en effet compris la notion du Tsimtsoum plus au moins littéralement :

Rabbi Emmanuel 'Haï Réki (Yosher Lévav bayit I 'heder 1), le Yaabets (Mitpa'hat Sfarim §64 page 82), le Gaon de Vilna (Likoutim à la fin de son commentaire Safra Détsniouta), le Rabbi Yonathan Eybeschütz (Shem Olam page 93, 112, 120 et 130).

 

Mais beaucoup d'autres pensaient comme le Shomer Emounim qu'il ne faut surtout pas comprendre le Tsimtsoum ainsi :

Le Rema de Fano (Yonat Elem §2), Rabbi Avraham Cohen Errera (Shaar Hashéni maamar 3 §7 et maamar 5 §12-13), Rabbi Shabtaï Horowitz (Shéfa Tal Shaar 6 §1), Rav Naftali Kats (Emek Hamelekh Shaar 1 §1), le Yashar Mikandia Rabbi Yossef Shlomo Rofé Delmedigo (Novlot 'Hokhma page 49), le Ram'hal aussi (kéla'h pit'hei 'hokhma §27-28), le Baal Hatania premier Rabbi de Loubavitch aussi (Likoutei Torah Vayikra 51 et 53) qui critique en cela le Gaon de Vilna, Rav 'Haïm de Volozhin aussi (Nefesh Ha'hayim Shaar 3 §7).

On voit encore pour ces derniers Rabbanim, le grand danger de la Kabbala, au point que même d'autres Rabbanim peuvent gravement se tromper.

 

b. Kavanot pour la prière et Sfirot

 

Au quatorzième siècle le Rivash (Rav Its'hak bar Sheshet) dans son responsa §157 a été questionné au sujet des Sfirot et des Kavanot de la prière ramenés dans le Zohar.
Il lui répond que son maître Rabeinou Perets n'a jamais parlé de ces notions et que le Rishon Rabbi Shimshon Mikinone (de Chinon) qui avait étudié la Kabbala priait comme un enfant à son père sans aucune Kavanot spéciales derrière. [Ce témoignage est aussi ramenée par le Maharshal dans son responsa §98.]

Il ramène ensuite la grande Ma'hloket entre le Recanati et le Radbaz si les Sfirot sont réellement de la divinité ou seulement des Kélim (des manières de faire passer etc.). Rabbi Moshé Cordovero avait fait un compromis entre les deux avis, il compare ça à l'âme (la Neshama) et au corps - le corps n'est pas l'âme mais au fond l'âme est dans le corps; ainsi D.ieu n'est pas les Sfirot et les Sfirot ne sont pas D.ieu, mais D.ieu se "matérialise" dans les Sfirot.

D'après certains Mékoubalim donc, la divinité se diviserait en plusieurs morceaux ! Ça ressemble à de la Avoda Zara. On avait déjà amené plus haut le Ari Nohem qui en était choqué, au vu de la ressemblance avec la Trinité des chrétiens.

Le Rivash raconte que son ami Rabbi Yossef ben Shoshan qui était un grand Tzadik Talmid 'Hakham et qui avait étudié la Kabbala et la philosophie, lui a expliqué que les Mékoubalim prient à D.ieu - et que les Sfirot ne servent qu'à intercéder auprès d'Hashem comme des sortes de ministres auprès du roi.
Il conclut donc qu'il vaut mieux prier simplement sans rentrer dans les Sfirot.
Il ramène là-bas que son Rav, le Rabeinou Nissim (le Ran) aurait émis une critique sur le Ramban, qu'il se serait trop cassé la tête à croire aux notions de Sfirot. (C'est une critique assez étrange.)


Et le Rivash n'est pas le seul à penser ça.

Au 18ème siècle aussi, le Noda Biyehouda (Mahadoura Kama I Yoré Déa §93) dit qu'il faut se borner dans la prière à penser à la simple traduction des mots, sans kavanot particulières.
Le 'Hida (Yossef Omets §44), malgré qu'il soit un grand kabbaliste, s'oppose à une prière "pour" les kavanot.
Le Igrot Haramaz va plus loin encore (Igueret 1 et 26), et s'oppose aux kavanot elles-mêmes. En effet le Zohar ne nous donne pas tous les détails, ce n'est pas adapté à tout le monde et c'est trop risqué.

Il est néanmoins clair qu'il convient de prier dans le Nossa'h des Anshei Knesset Hagdolah (le Siddour actuel sans les ajouts ultérieurs).
Les Kabbalistes disent en effet que chaque mot fait des allusions à énormément de secrets etc.

Rav Wattenberg en est un peu sceptique, il faut surtout garder ce Nossa'h car c'est une Takana, une institution des Rabbins qu'on ne peut modifier.
Et à travers cette institution, et ce langage figé, les Sages ont fait passé beaucoup d'idées importantes du judaïsme (des hashkafot) : qu'est-ce qu'on demande, comment on le demande etc.

Plus encore Rav Wattenberg pense que si la contrainte de ce Nossa'h venait des secrets qui y sont inclus, alors comment comprendre la Mishna (début du septième chapitre de Sota, 32b) qui nous dit que la prière se dit en toutes langues ?
Ultérieurement les Rabbins ont interdit de prier en français en privé à cause des Maskilim, mais à la base c'était autorisé !
Le Talmud d'ailleurs explique que puisque la prière est une demande de miséricorde, il est donc normal qu'on puisse demander en toutes langues.
Les secrets dans le Noussa'h des Anshei Knesset Hagdolah ne sont donc pas si capitaux que ça.

Quelqu'un a devancé Rav Wattenberg sur cette preuve, c'est Rabeinou Ménashé Méilia un élève du Gaon de Vilna dans Alfei Ménashé I §179.

 

c. D'autres dérives

 

Le livre Toldot Yaacov Yossef est un livre de 'Hassidout d'un élève du Baal Shem Tov .

Il a été étudié par les 'Hassidim mais surtout par les Maskilim.
Ils ont beaucoup utilisé ce texte pour prouver leurs thèses.

Ça nous montre à quel point la Kabbala est un terrain sur lequel on peut déraper très facilement.


Rabbi Avraham Aboulafia (1240-1291), dans son 'Hayé Haolam Haba sur la Kabbala explique comment arriver à la Névoua (à la prophétie).
Ça a choqué beaucoup de monde et il y a eu une grande polémique.

À part ça il a considéré à un certain âge qu'il était le Mashia'h.

Il a aussi voulu rencontrer le pape pour le convaincre de se convertir.
On a deux versions sur cette histoire : soit il a réussi à le rencontrer puis on l'a enfermé et failli le tuer mais il a finalement été sauvé par la mort du pape (ou bien ils l'ont pris pour un fou et ont fini par le libérer).
Soit il n'a pas réussi à aller jusqu'au pape car celui-ci venait de mourir.
On a aussi deux versions sur le nom du pape Nicolas III ou Martin IV.

À cause de ses idées un peu spéciales, beaucoup de Rabbanim se sont levés contre lui.
Notamment le Rashba, Rabbi Shlomo ben Aderet, dans son responsa §548 ainsi que Yashar Mikandia dans Matsref La'hokhma.

Cependant Rabbi 'Haim Vital le cite parfois.
Le 'Hida dans Shem Hagdolim (II ot 'het §76) ramène cette ambigüité à propos du Rabbi 'Haim Vital.

 

 

LA PLACE DE LA KABBALE DANS LE JUDAÏSME

 

1. Des Coutumes Kabbalistiques

 

Dans le judaïsme actuel, on trouve énormément de coutumes qui trouvent leur source dans des textes de Kabbala

On va donner quelques exemples.


● Il y a une grande discussion à propos des Téfilin entre Rashi et Rabeinou Tam sur l'ordre des quatre Parashiot des Tfilin.
C'est ramené dans le Shoul'han Aroukh Ora'h 'Haim §34.

Rashi (et le Rambam) pensent que l'ordre est kadesh - vehaya ki yeviakha - shema - vehaya im shamoa.
Alors que Rabeinou Tam inverse shema et vehaya im shamoa.
Et on a des preuves archéologiques dans les deux sens avec des Tfilin datant de bien avant Rashi et Rabeinou Tam.

En fait, la source de leur Ma'hloket provient de la Gmara Mena'hot 34b. Une Braïta dit qu'il faut ordonner les Parashiot avec kadesh et vehaya ki yeviakha d'un côté et shéma et vehaya im shamoa de l'autre. Rashi comprend cela textuellement. Mais Rabeinou Tam comprend qu'il faut reprendre shéma et véhaya en commençant par l'autre bout, donc c'est inversé.
On peut donc imaginer qu'on retrouve les deux sortes de Tfilin à l'époque de la Gmara suivant la compréhension de ce texte.
Seulement, ce désaccord a l'air de dater de l'époque des prophètes (comme le montre les preuves archéologiques) ! Et cette Braïta n'était pas encore écrite... Il faut dire que cet enseignement oral existait déjà à l'époque.

En tout cas on tranche la Halakha comme Rashi.

Cependant d'après les Tikounim du Zohar 'Hadash page 101d, il est nécessaire de mettre les deux pairs, chacune a son importance.
Et aujourd'hui, c'est ainsi qu'agissent beaucoup de juifs : en particulier les sfaradim (et quelques 'hassidim), et les plus orthodoxes.


● Le Shabat on fait attention d'avoir deux pains, le Le'hem Mishné. Mais d'après la Kabbala il faut douze pains, ou encore tressé en douze.

Aussi le vendredi soir, on coupe en premier le pain du dessous contrairement aux autres repas où c'est celui du dessus. C'est aussi une notion kabbalistique, mais qui est quand même ramenée dans les décisionnaires (Rama).


● Pendant le Birkat Cohanim, les Cohanim doivent se laver les mains avant comme c'est écrit dans le Talmud Sota 39.
Le Shoul'han Aroukh §128, 6 ajoute que ce sont les Léviim qui leur font la nétila. La source à ça est le Zohar dans Nasso.


● À Rosh 'Hodesh, on prie Moussaf sans Tfilin. C'est aussi un din kabbalistique.
Ainsi le Radbaz (Siman §1151) écrit que la seule source est un livre de Kabbala, et lui-même c'est ainsi qu'il agit car ce n'est pas en contradiction avec la Gmara.


● À propos des bénédictions du matin, le Shoul'han Aroukh §86, 8 écrit que lorsque l'on entend le coq on fait hanoten lasekhvi, lorsqu'on s'habille on fait malbish aroumim. C'est-à-dire que c'est seulement lorsque l'on fera l'action qu'on fera la brakha correspondante. Et si on n'a pas entendu de coq par exemple, on fera la bénédiction sans le nom d'Hashem.
Les Ashkénazim font quand même la bénédiction en se basant sur le Rama, au nom du Tour, du Rosh, le Tosfot et d'autres Rishonim.

Mais aujourd'hui même les Sfaradim font ces bénédictions avec le nom d'Hashem contrairement à l'avis du Shoul'han Aroukh, et suivent ainsi l'avis de la Kabbala et du Arizal. C'est ramené par le 'Hida dans le Birkei Yossef Ora'h 'Haim §36, 12.


● En principe le Baroukh Shéamar se dit avant Hodou. Mais les Sfaradim et les 'Hassidim font Hodou avant Baroukh Shéamar.
C'est aussi un minhag kabbalistique qui se base sur le Shaar Hakavanot.


● Les Sfaradim et les 'Hassidim ont aussi l'habitude de sonner le Shofar pendant la Amida silencieuse du Moussaf à Rosh Hashana en se basant sur le Shaar Hakavanot. Le Radbaz en parle aussi.


● Le Shoul'han Aroukh Ora'h 'Haim §605, 1 écrit que le Minhag des Kaparot avec un poulet n'est pas un bon Minhag. Et le Rama n'est pas d'accord.
Là aussi beaucoup de Sfaradim ne suivent pas le Shoul'han Aroukh sur ce point car cette coutume est mentionnée dans le Arizal (Shaar Hakavanot 100a).
Voir encore : sur techouvot .


● Le Vendredi soir, on fait la Kabbalat Shabbat, on lit certains Tehilim et Lekha Dodi.

Il faut savoir que c'est une habitude qui date seulement du 17ème siècle instaurée par des Mékoubalim.

Ce minhag n'a pas été accepté facilement. À Francfort en Allemagne, une seule communauté avait accepté par exemple. Mais avec le temps, le monde entier a accepté cette coutume.

Cependant les Ashkénazim font la Kabbalat Shabbat sur la Bima, pas à la place du Shlia'h Tsibour. On distingue ainsi entre les prières essentielles, et celles instituées plus tardivement.

 

 

2. Contradictions entre le Zohar et la Halakha

 

Il y a environ 250 endroits dans le Zohar qui touchent à la Halakha.
Ils sont ramenés dans le Yesh Sakhar de Rabbi Issakhar Ber de Prague (un Rav du 17ème siècle).


Le Radbaz - Rabbi David ben Zimra, un des commentateurs essentiels du Rambam (sur le Mishné Torah), nous a laissé un responsa avec énormément de questions-réponses. Au Siman §1151 il écrit que lorsqu'il y a contradiction entre le Zohar et la Gmara / les Poskim, il est évident qu'on ne tranche pas comme le Zohar.
En §1180 il demande de ne pas le soupçonner de trancher la Halakha comme la Kaballa

D'autres ont écrit ça aussi.

Le Rav Ye'hezkel Landau, dans son Noda Biyehouda (Mahadoura Kama §74) écrit qu'on ne tranche pas la Halakha comme le Zohar, c'est comme un Midrash.

Le responsa du Beit Yossef de Rav Yossef Caro page 385 écrit ça aussi (c'est Rav Its'hak Caro là-bas).
Le Maharshal aussi dans son responsa §98.
Il dit que même si Rashbi se présentait devant nous on ne l'écouterait pas.

Le 'Hakham Tsvi, le père du Yaabets, écrit la même chose dans son responsa §36.
Le Shéilat Yaabets I §47.
Le responsa Divrei Yatsiv du Rabbi de Klozenbourg-Tsanz dans Ora'h 'Haim §2.

Rabbi Shimon Sofer (responsa Itorerout Tshouva II §29) ramène les preuves que la Halakha est comme le Niglé et pas comme le Nistar.

Certains encore ont voulu prouver que c'est aussi l'avis du Prisha, du Baal Hatania et de différents A'haronim.

Rabbi Shalom Messas (le père du grand Rabbin) dans son responsa Shemesh Oumaguen §11 et §15 ramène ça.

le 'Hida écrit dans Marit Ayin (Sanhedrin 100) qu'on ne doit pas créer un Din et une Halakha à partir de Guematriot ou des secrets.
Le Rav Moshé Feinstein aussi (Igrot Moshé IV §3).

Le Rav Ovadia Yossef ('Hazon Ovadia fin §35) dit que même d'après le Beit Yossef (Siman 141) qui pense que le Zohar est plus important que les Poskim (mais pas aussi important que la Gmara) - on suivra les Poskim halakhiques plutôt que les autres mékoubalim.
Et le Rav Feinstein dit plus ou moins la même chose.


L'avis particulier du Gaon de Vilna

 

Le Gaon de Vilna est très connu à ce sujet (ramené par l'élève de son élève dans le Keter Rosh page 38b). Il disait (contrairement à ce qui ressort à première vue) qu'il n'y a jamais de contradictions entre le Zohar et la Gmara ! Il faut soit comprendre différemment le Zohar soit comprendre différemment la Gmara.


Cependant il semblerait qu'il n'a parlé que du Zohar mais pas des autres livres de Kabbala.

Par exemple, le Gaon de Vilna lui-même était contre l'idée de rassembler les Tsitsiot pendant le Kriat Shema car ce n'est pas ramené dans la Gmara et qu'il serait plus logique de les laisser aux quatre coins de l'habit.
Le Minhag actuel de les rassembler a sa source dans les écrits du Arizal.

Seulement, sur ce point précisément, il semblerait y avoir des sources dans les Poskim classiques.

Dans les Tshouvot Haguéonim Shaarei Tshouva (§88), c'est écrit qu'il n'est pas mauvais de prendre les Tsitsit dans la main pendant le Shema.

On a aussi le Mordekhaï (Mordekhi), Rabbi Mordekhai bar Hillel - un élève du Rosh, sur Souka §763 qui parle de ça. Et il semblerait qu'il veut prouver du Yéroushalmi qu'il faut prendre les Tsitsit dans la main. Malheureusement on ne retrouve pas ce Yeroushalmi.


Ça arrive fréquemment chez les Rishonim : soit ils appelaient Yeroushalmi un autre Midrash mais pas le Shass Yeroushalmi, soit on a perdu ce Yeroushalmi
On a en effet perdu beaucoup de textes, quant au Yeroushalmi de Kodshim, il est totalement disparu.

À tel point qu'un jour un érudit qui s'appelait Frilander a prétendu avoir retrouver un manuscrit du Yeroushalmi de Kodshim et l'a imprimé avec des approbations de certains Rabbanim. Il avait compilé tout ce qui est ramené au nom du Yeroushalmi par les Rishonim ainsi que d'autres ajouts. Mais des Rabbanim ont remarqué la supercherie, et Frilander a avoué qu'il avait tout écrit lui-même.


3. Zohar qui ne contredit pas la Halakha

 

Le Radbaz au Siman §1111 rajoute que lorsqu'un sujet est abordé dans le Zohar mais pas dans la Gmara, c'est-à-dire lorsque le Zohar ne contredit pas la Gmara on devra (ou au moins ce sera convenable de) suivre le Zohar.

Et c'est pratiquement l'avis unanime.


Il dit encore au Siman §1082 écrit aussi que lorsqu'il y a un désaccord dans les Rishonim, il est bon de trancher comme le Zohar.

Dans le responsa du Rema Mifano, Rabbi Mena'hem Azaria de Fano, au Siman §108 c'est écrit que lorsque la Gmara supporte deux interprétations, il faut la faire correspondre avec le Zohar.
Le Yaabets aussi a écrit quelque chose de similaire, dans son Shéilat Yaabets I §47.

Le Rav Shmouel Mishaar Arié, un contemporain de Rav Yossef Karo, écrit qu'on peut tirer la Halakha uniquement du Zohar et des Tikounim, mais pas du Raya Meheimna qui est déjà plus tardif.


Néanmoins certains Rabbanim n'étaient pas d'accord.

Notamment le Reem, Rabbi Eliaou Mizra'hi, dans son responsa §1 qui écrit qu'on ne peut pas imposer au peuple de suivre ce qui écrit le Zohar.

Le Mishna Broura (Siman 25, 42) aussi


Suivre Halakhiquement un Midrash ?

 

On a une règle générale dans la Gmara qui c'est ramené par tous les Rishonim : ein lemedin halakha mimidrash, on ne tranche pas la Halakha comme un Midrash. (Yéroushalmi Péa §2, 4; 'Haguiga §1, 8)

Si c'est comme ça, comment peut-on amener des preuves halakhiques du Zohar ?

Il faut savoir que pratiquement tous les A'haronim sont d'accord pour dire ce principe ne s'applique que lorsque ça contredit une Gmara.

C'est ce qu'écrit le Yad Malakhi, ot Alef §72.

Le 'Hida aussi dans Ayin Zokher ot Alef §42.
Il ramène là-bas Rabeinou Tam dans Sefer Hayashar (619) qui écrit qu'il est important d'avoir connaissance des Midrashim car on peut en tirer la Halakha lorsque ça ne contredit pas la Gmara.

 

 

4. Une dévalorisation du Zohar ?

 

Beaucoup ont demandé comment ça se fait que la Halakha ne soit pas comme le Zohar (le Ari Nohem, le Mitpa'hat Sfarim etc.).
En effet ce livre est censé contenir des secrets de la Torah et être plus profond encore que le Talmud !
Pourquoi donc ne pas suivre ses recommandations ?


Rav Wattenberg pense que ce n'est pas un bon argument.

La Halakha n'est pas supposé être comme le Emet.
C'est-à-dire qu'on n'est pas supposé arriver avec la Halakha à la Vérité absolue.

La Halakha doit plutôt correspondre au bon sens des grands décisionnaires de la génération.
C'est avec leur compréhension humaine qu'ils doivent fixer la Halakha, c'est ce qu'on appelle lav bashamayim hi (elle n'est pas au ciel) - (Talmud Baba Metsia 59).


Donc ce n'est pas grave si le Zohar n'est pas la Halakha, malgré qu'ils contiennent les secrets de la Torah.
Il n'y a rien de dégradant à ça, contrairement à ce que dit le Ari Nohem.

 

 

5. Les propos du 'Hatam Sofer

 

Le responsa du 'Hatam Sofer Ora'h 'Haim §51 à la fin, écrit que tout celui qui mélange la Kabbala avec la Halakha est 'hayav de Kilaïm, ces deux choses n'ont rien à voir.

Beaucoup d'A'haronim s'en sont étonnés au vu des quelques implications halakhiques de la Kabbala dans la vie de tous les jours.

Notamment le Min'hat Elazar, le Rabbi de Munkacz, ('Helek II §78 ot 4) qui ramène le Beit Yossef et le Maguen Avraham qui ont plusieurs fois inséré des idées kabbalistiques dans la Halakha.


Rav Wattenberg pense qu'il faut distinguer deux choses :

On suit le Zohar aujourd'hui essentiellement pour les notions de prières, et pour les coutumes en général. Mais pas ce qui touche à la Halakha elle-même.
Pourquoi ces deux choses-là ?

Car ce ne sont pas des sujets importants.

Par exemple pour la prière on est quand même quitte si on change le Nossa'h de Anshei Knesset Hagdolah (Baroukh Shéamar après Hodou par exemple).
Seulement sur ce genre de point on suit particulièrement le Arizal et le Zohar.

C'est sûrement ça qu'avait le 'Hatam Sofer en tête.

 

 

KABBALA ET PHILOSOPHIE

 

Le Rabbi Avraham Aboulafia (XIIIe siècle) qu'on a cité plus haut voyait dans le Moré Névoukhim (le Guide des Égarés) de Rambam - Maïmonide des thèses kabbalistes et mystiques !

Et il n'est pas le seul à lier ces deux sciences à priori contraires (mystique / rationaliste).

Le Yashar Mikandia, Rabbi Yossef Shlomo Delmedigo, dans Toldot Yashar (page 9) aussi.
Après avoir rencontré Rabbi Yaacov ben Ne'hemias il s'est rangé du côté des kabbalistes et des partisans du Zohar.

Rav Ezriel, l'élève de Rav Its'hak Saguiné Or, (un Rishon) dans son commentaire sur les Agadot dit la même chose.


Le Rambam ramené par le Yaabets (Le'hem Shamayim 'Haguiga §2, 1) pensait que le Maassé Bereshit représente les sciences naturelles et rejoint les idées de la Kabbala.

Rav Moshé Bourteil, un grand Mékoubal pensait aussi la même chose.

Le Pardes Rimonim Hakadmon écrit ça aussi (au septième chapitre de Sanhedrin page 15b).
Dans les références là-bas, c'est aussi ramené Rabbi Mena'hem ben Zera'h l'auteur du Tseida Laderekh qui pensait la même chose.

Le Yaabets (Le'hem Shamayim Haguiga §2, 1) ramenait le Rambam qui assimilait le Maasei Bereshit aux sciences naturelles, et affirmait qu'effectivement au fond ça se rejoint.
Mais il se contredit lui-même dans ses Hagaot sur les lettres du Rambam page 16 où il conclut que le Rambam ne connaissait pas la Kabbala puisqu'il l'assimile aux sciences naturelles.

Le Or Hashem de Rav 'Hesdai Crescas (Maamar IV Droush 10) n'est pas d'accord. Il demande par exemple pourquoi y a-t-il tant de précautions dans son étude comme nous l'enseigne la Gmara 'Haguiga (à un seul élève et très sage) ?

(On avait aussi ramené le non-juif Raymond Lulle qui retrouvait dans le Sefer Yetsira les mathématiques de son époque.)


Rav Yaakov ben Ne'hemias, ramené dans le Ari Nohem (page 53) de Rabbi Yehouda de Modène, faisait un rapport étroit entre la philosophie de Platon et la Kabbala.

Il y a aussi le Beit Elokim du Mabit (82a) qui dit que la Kabbala est très proche de la philosophie de Platon.

Rav Israel Sarouk (qui se disait élève du Arizal) pensait aussi qu'il n'y a pas de différences entre la philosophie et la Kabbale.

Le Rama dans Torat Haola dit la même chose.


Le Pardes Rimonim Hakadmon de Rav Shem Tov Ibn Shaprout est un livre qui vient expliquer les Agadot du Shass de manière rationnelle.

Ce livre n'a pas été imprimé pendant de longs siècles jusqu'en 1554 puis une seconde fois en 1866.

Là-bas (page 15b sur Sanhedrin), il écrit que le Sefer Yetsira rejoint les sciences naturelles comme le dit le Rambam.

Mais d'un autre côté il écrit dans sa préface que la raison pour laquelle il a ressenti le besoin d'écrire son livre est à cause des élèves de Yeshivot qui sont embrouillés au sujet les Agadot.
Car les seuls commentaires disponibles comme le Rashba et autres ont mélangé la Kabbale et la Philosophie, alors que ce sont deux inverses qui n'ont rien à voir.

Il semble donc qu'il n'ait parlé que sur le Sefer Yetsira mais pas sur la Kabbale de manière générale.

(On avait aussi ramené plus haut Raymonds Lulle qui liait le Sefer Yetsira aux mathématiques de l'époque.)


Bien sûr, beaucoup de Rabbanim se sont fortement opposés à ces idées-là.

Notamment le Maharal de Prague, dans Derekh 'Haim (§5, 6), qui dit que la Kabbale et la philosophie n'ont aucun rapport.

Le Maharshal aussi, ramené dans le responsa du Rama §6 ou §7.

C'est aussi l'avis de tous les Mékoubalim qui considèrent l'étude de la philosophie comme de la minout et de l'apikorsout.

 

 

TRANSMISSION DE LA KABBALA

 

 

Il y a un livre de Kabbala très important, le Brit Menou'ha.

On dit qu'il a été écrit par Rabbi Avraham Mirimone Hasfaradi.

Ce livre bénéficie de l'approbation de tous les grands Kabbalistes : le Arizal etc. Dans la préface du Ets 'Haim de Rav 'Haim Vital, il écrit que le Brit Menou'ha provient d'un grand Sage, et par dévoilement du prophète Eliaou etc.

Rabbi Moshé Cordovéro, dans le Sefer Hapardes (Shaar Hanekoudot) écrit que ce livre a été reçu par l'auteur d'un ange (!).


En tout cas dans la préface du Brit Menou'ha est ramenée la transmission de la Kabbala depuis Adam Harishon jusqu'à Rabbi Shimon Bar Yo'hai.

Ça peut paraître bizarre de dire que Adam était kabbaliste, mais on retrouve cette idée dans le Zohar. Sur Bereshit 55b (et Tikounei Zohar §57) c'est écrit que Adam Harishon a reçu de l'ange Reziel tout un livre de Kabbala (Sefer Reziel Hamalakh). Noa'h aussi s'est occupé de Kabbale, comme on voit dans le Zohar Bereshit 58b.


Ensuite, beaucoup disent que Avraham Avinou est l'auteur du Sefer Yetsira:

Rav Saadia Gaon (Even Hapilosophim), Rav Moshé Bourteil au début de son commentaire sur le Sefer Yetsira, le Gaon de Vilna, le Rabbi Yéhouda Halévy (Kouzari maamar IV, §25), Rav 'Hesdaï Crescas (Or Hashem Maamar IV Droush 10), Rav Mena'hem Tsiyoni (Tsiyoni Parshat Lekh Lekha XII, 5) ainsi que le Ramban dans son commentaire sur le Sefer Yetsira.

Certains disent encore qu'il a été écrit par Rabbi Akiva bien qu'il s'agisse d'une transmission orale depuis Avraham Avinou.

Par exemple Rabbi Its'hak de Latèce (רבי יצחק דלטאש) écrit ça dans son Psak où il autorise l'impression du Zohar.
Il y a aussi Yashar Mikandia dans son Matsref La'hokhma. Et encore d'autres.


Il faut noter que Rashi sur 'Haguiga 13 appelle le Sefer Yetsira une Braïta, il semble donc qu'il considérait ce livre plus tardivement.


Le Brit Ménou'ha continue la transmission à l'époque de Moshé Rabeinou.

Rabbi Yossef Guikatilia, dans son Shaarei Ora, écrit que le livre Meen 'Hokhma a été écrit par Moshé Rabeinou qui l'a reçu de l'ange Raphael. C'est aussi écrit dans le Otsar Hasfarim de Ben Yaakov.


Rabbi Akiva est l'auteur - d'après certains - du Sefer Yetsira. Il y a aussi le Sefer Otiot Derabbi Akiva.


On attribue à Rabbi Ishmael le Sefer Haheikhalot et le Sefer Shiour Koma comme c'est écrit dans le Responsa des Guéonim (Shaarei Tshouva §122).


Le Sefer Habaïr est attribué à Rabbi Né'hounia ben Hakana. Le Tsiyouni ainsi que le Ramban dans son commentaire sur la Torah et dans son Shaar Hagmoul, l'appellent Midrash Rabbi Ne'hounia ben Hakana.


Le Brit Menou'ha conclut en disant qu'après l'époque de Rabbi Shimon bar Yo'haï, la science de la Kabbala est restée cachée et seuls certains Rabbanim ont réussi à en percevoir quelques bouts grâce à leurs intelligences, par exemple des Guéonim.